liste 2eme selection (2)



David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (176 p.)
Ma réaction
Alfa Ndiaye, le héros et vilain de Frère d’âme de David Diop, est devenu un dévoreur d’âme fou furieux après la mort de son plus que frère Mademba Diop. Plus encore, il est devenu la mort elle-même. Il sème en effet la mort redoutable parmi ses ennemis d’en face ainsi que la panique parmi ses frères d’armes. Après avoir été évacué à l’arrière à cause de ses actions inconcevables et mortelles, il commence à avoir une vie confortable : « Je ne fais presque plus rien par moi-même… ». Voilà que de belles jeunes femmes habillées tout de blanc s’occupent de lui. À l’hôpital, il raconte sa vie avant son départ à la guerre, sa vie avec sa mère, son ami d’enfance Diop et il en revient aux infamies de la guerre et des sept mains coupées. Le roman se termine par la déclaration de son ami déjà mort, Mademba Diop, qui confie que les deux amis ne sont qu’un: « lui est moi et moi suis lui. »
À mon avis, l’écrivain a utilisé à la perfection des mots forts et chargés d’émotion dans ce roman d’amitié, de guerre et de perte de soi. Malgré l’utilisation de certaines phrases tout le long du roman telles que : « je sais », « j’ai compris », « par la vérité de Dieu » et « je te jure », la langue utilisée est vraiment prenante. Le suspense ainsi que l’intrigue bien ordonnée vous accrochent au livre sans arrêt. L’écrivain utilise le point de vue interne et un style informel. Enfin, ce roman m’a fait vivre une expérience forte et inoubliable !
Mosab MAKEEN
Département de Français
Université de Khartoum


François VALLEJO
Hôtel Waldheim
Éd. Viviane Hamy, 2018 (288 p.)
Un souvenir énigmatique
Jeff Valdera est un Français ayant vécu une partie de sa vie en Suisse, à Zurich, à l’Hôtel Waldheim plus précisément. Cette partie de sa vie passée dans un hôtel en compagnie de sa tante Judith, une femme follement amoureuse du propriétaire de l’hôtel portant le nom Herr Meili, était pleine d’événements mais aussi de désastres. Il avait 16 ans, passait la moitié de sa journée à jouer aux échecs, sinon au jeu de Go, même s'il a toujours été vaincu à ces jeux, consacrant également une petite partie de son temps à regarder les deux femmes suisses résidant à côté et qui se déshabillaient chaque nuit pour dormir. Et puis, vu qu’il était le plus petit parmi les résidents de l’hôtel, on se servait beaucoup de lui pour mille choses. Cet adolescent français avait ainsi la chance d’être connu de tous grâce à ses incessants mouvements un peu partout dans l’hôtel des Grisons. Après avoir quitté l’Hôtel Waldheim et être rentré en France pour s’y installer après le mariage, Jeff oublie tout ce qu’il a vécu en Suisse et commence à mener une vie plus au moins tranquille. Mais un élément du passé cherchant une vague vérité oubliée resurgit et toque à la porte cachée de sa vie. À travers un moyen de communication très archaïque, la carte postale, une suissesse portant le nom Frieda Steigl, parlant mal le français, arrive à bouleverser sa vie en lui envoyant trois correspondances et en réussissant à fixer un rendez-vous inexplicable après la troisième. En cherchant des renseignements sur son père disparu sans laisser aucune trace derrière lui, la suissesse tombe plusieurs fois sur le nom Jeff Valdera, marqué sur plusieurs documents appartenant à son père. Aussi s’adresse-t-elle à Jeff comme en un dernier recours pouvant lui procurer au moins une information prometteuse d'un petit quelque chose la dirigeant vers ce père.
Le début de l’histoire est lent et du coup, quelque peu ennuyeux à cause de son incipit incroyablement chargé de descriptions qui, à mes yeux, n’apporte pas vraiment d’émotions. Je dois avouer que j’ai même, à un moment donné, failli perdre le fil. Mais après le surgissement de l’élément déclencheur dans l’histoire, l’entrée de Frieda dans la vie de Jeff, et grâce à la façon ô combien habile par laquelle Frieda fait rappeler à Jeff son passé secret et le contraint à raconter tous les souvenirs qui ont à voir avec l’Hôtel Waldheim, surtout ceux qui sont en relation avec son père bizarrement disparu, je retrouve un équilibre de lecture et commence à prendre plaisir à continuer. L’histoire comporte une dimension pathétique tout au long du rendez-vous, dimension accentuée par le bon enchaînement des idées et par les conversations tenues avec habileté et qui donnent la sensation d'une évolution prévue et surtout voulue dans la vie intime des deux personnages, malgré l’existence d’une partenaire dans la vie de Jeff.
L’évocation récurrente des pays occidentaux dont je connais assez bien les cultures ainsi que l’introduction inopinée de la guerre froide, la Seconde Guerre mondiale ou encore le nazisme, m'ont partiellement facilité la compréhension de l’histoire.
Au milieu de cette plongée dans l’histoire, j'ai été brusquement frappé et touché par la découverte de la vie bigame du père de Frieda et donc d'une demi-sœur ignorée et difficilement acceptable.
La fin de l’histoire est décevante, inattendue et j'ose même dire inacceptable. Car après un rendez-vous qui a pour but principal de retrouver un être disparu et qui était en même temps grandement prometteur de nouvelles perspectives, il m’a semblé quand même très étrange de découvrir que c’est un RIEN qui nous attend à la fin. Moi, je m'attendais au moins à la naissance d’une liaison entre Jeff et Frieda, qui ont échangé des mots tendres au cours du rendez-vous et qui ont même osé aller plus loin à un certain moment. Sinon, une retrouvaille entre un père et une fille mais, à ma grande surprise, c'est sur la disparition illogique de Frieda que je suis tombé à la fin. Pourtant, l’histoire vaut d’être lue parce qu'elle est au moins riche en détails sur de nombreux sujets.
Mohammed Yagoub Hanafi
Département de Français
Université de Khartoum


Maîtres et Esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
Maîtres et Esclaves
Paul Greveillac est un écrivain français né en 1981. Il a étudié les Lettres et les Sciences politiques, et on peut dire que ses études ont influencé ses deux ouvrages Les Ames Rouges et Maîtres et Esclaves qui sont inscrits sur la liste de lecture de l’Académie Goncourt pour 2016 et 2018 successivement.
Dans Les Ames Rouges, nous remarquons que l’histoire se déroule durant la période de l’Union Soviétique. L’esprit politique et historique domine également les événements de Maîtres et Esclaves.
L’action de la trame se déroule en Chine pendant les années 1950 au moment où un nouveau régime politique a été fondé, celui de Mao.  Il s’agit de l’histoire d’un paysan peintre qui s’appelle Kewei. Il s’est pris de passion pour la peinture comme son père Tian Yongmin et dessine du matin au soir malgré les supplications de sa mère Xi Yan qui souhaitait que son fils soit un bon paysan comme tous les autres enfants du village.
Tian Yongmin n’a pas été favorable au régime de Mao mais on peut dire que Kewei l’a plutôt été. La vie de ce dernier a basculé après une lettre envoyée à la maison des Tians. Cette lettre informait Kewei qu’il a été accepté comme étudiant à l’Académie des Beaux-arts de Pékin. Après une longue période d’études et de travail à Pékin, Kewei est ainsi devenu le peintre attitré du régime de Mao et il a obtenu sa carte du parti communiste.
Le nom de l’ouvrage Maîtres et Esclaves est bien expliqué dans le paradoxe opposant la vie du pauvre peuple et celle des familles des membres du parti communiste pendant la famine. Tandis que le peuple se bat pour obtenir quelques grains de riz, les membres du parti jouissent de bons et riches repas. Les femmes paysannes sont devenues très fragiles, à la différence de la femme d’un des membres du parti communiste, qui a pu donner naissance à son 4ème enfant.
Le style de Paul Greveillac est imprégné de culture chinoise. Il a nommé les personnages et les villes avec des noms chinois, et il pointe de nombreuses coutumes chinoises.
Nous pouvons donc dire que ce livre intéresserait tout lecteur qui serait tenté par l’ouverture à la culture chinoise et qui aurait le souci de comprendre de manière plus subtile la vie politique et sociale en Chine pendant les années 1950, à la lumière de Maîtres et Esclaves.
Iriny Georges SAMIR
Département de Français
Université d’Ain Shams

Daniel Picouly
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
Quatre-vingt-dix secondes, dernier avertissement
  Daniel Picouly est un écrivain français, animateur de télévision et scénariste de bande dessinée. En 1995, il obtient un grand succès avec Le champ de personne (Grand prix des lectrices d’Elle) et également en 1999 avec L'enfant léopard (Prix Renaudot).
  Dans Quatre-vingt-dix secondes, Daniel Picouly aborde un sujet historique : le désastre de 1902 qui a rasé la ville de Saint-Pierre en Martinique du fait de l'éruption volcanique de la montagne Pelée. Il met en scène pour nous l'histoire de quelques personnages, tels que le gouverneur Louis Mouttet, les deux amants Othello et Louise, la mère d'Othello, Julie, le tuteur de Louise Vintelle et Outreville, l'homme qui a été payé par Vintelle pour tuer Othello.
  Dans ce récit palpitant et intriguant, nous nous trouvons face à une narratrice non conventionnelle, exceptionnelle : la Montagne Pelée elle-même. Elle se présente ainsi comme un témoin. L'idée de faire parler la Montagne est surprenante et extrêmement captivante. Tout au long de cette épopée, la Montagne se justifie et nous fait part des raisons de son éruption. Elle nous dévoile même qu’elle avait l’intention d’en sauver quelques-uns … Mais il n’a fallu que 90 secondes, justement, pour que tout soit hors contrôle.
  Bien que la Montagne Pelée ait envoyé des avertissements depuis trois semaines, tels que la fuite des animaux et les cendres qui se répandaient dans la ville, les habitants n'ont ni réagi ni quitté Saint Pierre conformément aux instructions ministérielles de ne pas évacuer la ville pour assurer le 2ème tour des élections législatives, ce qui a provoqué la mort de 30000 personnes ,30000 morts en Quatre-vingt-dix secondes.
  En bref, cette épopée a survolé plusieurs problématiques : le manque de conscience, l'ignorance scientifique, la satire sociale, l'aspect politique et la frivolité des hommes. Elle s'avère intéressante et stimulante par le style fluide de l'écrivain et les scènes percutantes de l’œuvre. Mais tout avantage a ses inconvénients et réciproquement, bien que l'auteur se soit manifesté à plusieurs reprises par son style vif et prenant, les événements ont été interrompus à maintes reprises, l'enchaînement s’en trouvant haché, ce qui peut provoquer une certaine confusion chez le lecteur qui perd ainsi le fil conducteur de l’histoire. Cependant, Quatre-vingt-dix secondes mérite sans aucun doute sa présence dans la deuxième sélection de Goncourt, tant par la dimension politique que psychologique qu’il couvre.
Israa YOUSSEF
Département de Français
Université d’Ain Shams



Nicolas MATHIEU
Éd. Actes Sud, 2018 (432 p.)
Une jeunesse désenchantée
Aux animaux la guerre (2014) fut le premier roman de Nicolas Mathieu, un roman qui a récolté trois prix et a été adapté pour la télévision par Alain Tasma. Aujourd’hui, N. Mathieu nous livre son second roman intitulé Leurs enfants après eux.
Qu’ils soient Français de souche ou fils d’immigrés, quatre adolescents ont soif d'exister ! Ils ne veulent point avoir le même sort réservé à leurs parents. Ce roman sociologique qui dépeint une génération sans repères, est structuré en 4 chapitres s’étalant sur quatre étés, de 1992 à 1998 ; dans une vallée, où les hauts-fourneaux sont à l'abandon. Il relate le récit d'une jeunesse qui cherche à créer son propre avenir, à ne pas suivre les pas immuables de ses parents, à se démarquer, à se prouver, bref à… vivre. Avec les quatre personnages principaux, Anthony, Hacine, Clem et Steph, nous nous plongeons dans la découverte des différentes obsessions juvéniles, nous goûtons avec eux les premières fois : celles de l'amour, des premières étreintes, du tabac, du mauvais alcool, etc.
Ces jeunes qui n'ont en tête que de partir, qui hurlent en silence (j'existe !), appartiennent à des milieux différents mais sont de la même petite ville. Les deux garçons sont pauvres, à la différence des filles, Steph et Clem, qui sont d’un certain niveau social, clairement visible à leur façon d'être et d’agir. Deux mondes inconciliables... Ils ont fait connaissance sur une plage fameuse où les garçons aspirent à voir des filles nues. Pour y aller, Anthony et son cousin Hacine ont dû voler un canoë, ce qui montre dès le premier chapitre leur impétuosité.
À travers les années, nous suivons l’évolution de leur caractère, leur avancée vers l'âge adulte et les changements qui touchent leur vie. Mais la question demeure : Est-on voué à suivre le même schéma que ses parents ? Ne peut-on prendre notre destin en main, ou au moins le choisir ? A-t-on le droit de rêver ? Peut-on s’en sortir ? Et quel prix faut-il payer pour cela ?
Pour répondre à cette question, N. Mathieu a usé d’une écriture vive, sensible, douce et attractive. Le style est également très simple et accessible. Toutefois, certaines parties foisonnant de descriptions suscitent parfois l'ennui, ainsi que certaines ellipses temporelles qui ont risquent d’égarer le lecteur.
Grosso modo, le roman, par le sujet traité, attire les jeunes autant que les adultes. L'engouement des premières fois suscite la passion et constitue un catalyseur pour persévérer dans la lecture. En fait, Nicolas Mathieu excelle à décrire les adolescents, physiquement et psychologiquement, ainsi qu'à peindre une jeunesse désœuvrée provenant de différentes classes sociales. Ses mots ne sont que le reflet de leurs maux. Illusion, leurre et échec s’entrelacent pour esquisser un tableau déroutant de ces jeunes et derrière eux, celui d’une France qui vacille et bascule. Une invitation à repenser la France des années 1990...
Nada HASSANEÏN
Département de Français
Université d’Ain Shams


Daniel Picouly
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
Quand la nature se met en colère
Né en 1948, Daniel Picouly a écrit plusieurs romans, parmi lesquels Le Champ de personne (Grand prix des lectrices du magazine Elle en 1995), L’Enfant Léopard (Prix Renaudot 1999) et Paulette et Roger (Prix populiste 2001).
Quatre-vingt-dix secondes est un titre évocateur qui rappelle une tragédie historique, une catastrophe humaine – c’est le moins que l’on puisse dire. En effet, c’est le temps qu’il a fallu pour que la montagne Pelée extermine les 30.000 habitants de la ville de Saint-Pierre en 1902. Une ville fut gommée de la carte.
C’est dans ce cadre assez dramatique que nous rencontrons plusieurs personnages esquissés avec minutie par D. Picouly : Louis Mouttet, le gouverneur qui a pour consigne de ne pas affoler la population et qui assure que la situation est sous contrôle, Louise et Othello, deux amants innocents (et d’ailleurs, les seuls survivants au désastre), la mère d’Othello et finalement Vintelle, le prétendant de Louise.
La nouveauté narrative ici est que Daniel Picouly donne la parole à la montagne Pelée qui, apparemment, n’aime pas Saint-Pierre. Le récit est mené du point de vue du volcan qui se moque des gesticulations et des bêtises humaines. Tout au long du récit, la montagne essaye de se défendre, de se justifier, de raconter ses hésitations à en sauver quelques-uns. Elle affiche même sans ambages son étonnement quant à la passivité des habitants, qu’elle a pourtant avertis en envoyant des nuages de cendres pendant trois semaines. Tous les signaux furent pris à la légère par la population, et même la fuite des animaux ne les a pas fait réagir, car ils attendaient le deuxième tour des élections législatives. Quel prétexte !
L’homme peut-il jusqu’à ce point sous-estimer les forces de la nature ? La politique est-elle plus importante que la vie ? Ceux qui ont trouvé la mort le méritaient-ils ? Jusqu’à quand durera le combat entre l’homme et la nature ? Autant de questions suscitées dans un roman peu conventionnel.
Nour Mohamed RACHAD
Département de Français
Université d'Ain Shams 


David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (176 p.)
Par la vérité de Dieu
Le roman décrit l’histoire d'Alfa Ndiaye et de son ami d'enfance, son « plus que frère », ainsi qu’il le décrit.
Les deux amis ont décidé de quitter leur pays natal, leur village de Gandiol, pour participer avec l'armée française à la Grande Guerre contre l'Allemagne.
Contrairement à Alfa, Mademba Diop a pris la décision de participer à cette guerre. Alfa, qui a une confiance aveugle en son « plus que frère », a accepté.
Nous découvrons deux idées paradoxales dans le personnage de Diop. D'une part, l'absence de grâce, car il est clair que par la manière avec laquelle il tue ses ennemis, il est devenu presque inhumain, à cause du monde cruel de la guerre, de la violence, du sang, de la souffrance psychologique précisément. Telle est la raison de l'existence du docteur François, qui les aide à évacuer l'affreuse image de la guerre. D'autre part, du côté de l'humanité, le narrateur ne l'avoue pas directement, mais il a essayé de cacher ses sentiments, sa nostalgie du pays perdu, sa fidélité pour son ami, et Fary l'amour de sa vie, la famille…
Au début, j'ai trouvé le style simple, presque naïf par la répétition de quelques phrases mais à la fin, je l'ai trouvé étonnant, passionnant, profond et exceptionnel.
Wafa ADAM
Département de Français
Université de Khartoum



Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Les Éditions de minuit, 2018 (189 p.)
La fatalité d’une passion peu commune
« Je crois que je suis amoureuse de toi. » En faisant son premier aveu, Sarah donne naissance à une passion qui exalte l’esprit de la narratrice.
Ces deux femmes, qui ne se connaissent pas au début, vont se lier d’amitié puis tomber amoureuses l’une de l’autre. Un événement va les séparer, qui va rendre la narratrice ivre de chagrin. Cette dernière se lance alors dans un voyage en Italie.
La première partie du roman s’ouvre sur la scène d’un dîner de réveillon. La narratrice est présente. La porte s’ouvre et Sarah arrive. La narratrice, dont on ignore le nom, est un jeune professeur. Elle vit avec sa fille dont le père a disparu sans prévenir. La narratrice dresse le portrait de son amante. Sarah, par sa hardiesse excessive et son âme enfantine, trouble la réalité monotone et routinière de la narratrice. Dans cette partie, l’amour éprouvé à l’égard de Sarah atteint son paroxysme. Une sensualité extraordinaire submerge les deux femmes différentes par leur style et leur comportement.
En inaugurant la deuxième partie de son roman, l’auteure peint la désillusion de la narratrice face à la mort possible de Sarah qui hante à jamais son âme damnée. Sarah, ce fantôme tantôt haï, tantôt adoré, dévore l’imagination de la narratrice et va jusqu’à gâcher sa vie. Au cours de la deuxième partie, la présence de Sarah est moins intense. Elle a été l’ouragan qui a traversé la vie de la narratrice. Celle-ci est obsédée par une symphonie d’échos en « S », ce « S »  qui ne cesse de la détruire par son souffle violent : Sarah… Soufre… Souffrance… Une amitié foudroyante s’est ainsi épanouie en un amour volcanique, se métamorphosant ensuite en une étincelle funèbre, étincelle d’un amour infernal qui obscurcit encore plus l’univers de désolation de la narratrice en l’étouffant. L’auteure clôt son roman par des onomatopées successives « Chhhoubam » qui évoquent les palpitations accélérées du cœur fêlé de la narratrice. Ainsi, l’excipit s’inscrit dans un contexte symbolique : « comme un air qui se perd dans la pénombre ».
C’est avec un style à la fois pittoresque et insolite que Pauline Delabroy-Allard enivre ses lecteurs par son roman émouvant. Elle entremêle deux mondes, deux âmes et deux corps. L’auteure poétise audacieusement le quotidien. Et dans ce premier roman, elle se choisit la littérature homosexuelle.              
                                                                                                                Nicolas ISSA
                                                            Département de Langue et Littérature Françaises
                                                                                                   Université Libanaise, section IV



Thomas B. Reverdy
L’hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (224 p.)
L’hiver du mécontentement
 « Elle attend que quelque chose se passe. » Cette expression, placée dans la première de couverture, attire le lecteur et l’emmène dans le monde de l’attente en l’incitant à imaginer les évènements racontés. En premier lieu, Thomas B. Reverdy ouvre son roman sur le personnage principal, ״Candice״. Cette dernière, âgée de vingt ans, est une apprentie comédienne, qui va jouer le personnage de Richard III dans une mise en scène féminine. Alors, pour payer ses cours d’art dramatique, elle décroche un boulot de coursier à vélo dans les rues de Londres où les poubelles s’accumulent car la ville est paralysée par une grève générale des secteurs privé et public. À cette époque-là (1978-1979), l’Angleterre est sur le déclin : les ouvriers sont en grève, les poubelles s’accumulent, le chômage augmente, les pauvres sont désespérés. Voici venir l’hiver du mécontentement. Ce sont les premiers mots que prononce Richard III dans la pièce de Shakespeare, une tragédie sur le pouvoir, la manipulation et le mal. Candice cherche pour sa part à comprendre qui était Richard III en analysant la pièce dans son journal. Suite à plusieurs visites au théâtre, elle fait la connaissance de Margaret Thatcher encore méconnue, venue prendre un cours de diction. Elle rencontre aussi Jones, un jeune pianiste de jazz licencié de son travail de bureau.
Ce roman nous présente la situation politique de l’Angleterre à cette époque. L’auteur nous a plongés dans la période mouvementée où Margaret Thatcher va prendre le pouvoir, événement qui détermine toutes les actions qui suivent. En fait, c’est un roman sensible qui évoque le théâtre, l’autorité et tous les évènements politiques authentiques. L’auteur a réussi à plonger son lecteur dans la vie politique du pays. En effet, Thomas B. Reverdy écrit avec sensibilité, précision et sans artifice, ce qui a contribué à donner une image véridique de l’atmosphère du pays. Donc, on peut dire que L’hiver du mécontentement est un beau roman, fort agréable à lire. 
                               Batoul RAAD
Département de Langue et Littérature Françaises
                                                  Université Libanaise, section IV



Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
La colère de la nature
30 000 morts en 90 secondes, ce roman de 265 pages fait d’un drame choquant une histoire à raconter aux générations nouvelles et l’occasion d’une remémoration des victimes de cette catastrophe naturelle. Parfois le pouvoir humain et ses stratégies de précaution se révèlent incapables de sauver ou de préserver la race humaine, surtout face à un pouvoir supérieur à celui des humains : le pouvoir naturel.
Les politiciens, dans ce roman, reflètent l’image des politiciens actuels. Ils ignorent qu’ils seront réduits en cendres en une fraction de seconde et qu’ils n’auront plus le plaisir d’exercer leur tyrannie sur les citoyens. Mais, inconscients du malheur qui les attend, ils continuent à disputer les élections et achètent des voix.
La gueule du volcan a causé un anéantissement sans discrimination ni racisme, par opposition au comportement humain qui n’a pris que la défense du clan des « Blancs », en dépit du décret d’abolition de l’esclavage en 1848. Le volcan prend en effet la parole et dégurgite tous les secrets des humains ; leur mode de vie, leurs travaux, leurs souffrances, leurs peurs et leurs amours. Une histoire d’amour naissante entre Othello et Louise, tous deux orphelins, de deux races différentes, est condamnée à l’échec, suite à un duel effectué entre l’amant et son ennemi, un homme riche auquel on avait promis Louise. Et puis, le roman regorge d’histoires : celles des lavandières, de la supériorité des riches, de la discrimination des races, d’un professeur qui exige l’évacuation de la ville et des politiciens qui dissimulent la réalité et rassurent les citoyens. Ces histoires fusionnent de toute part. Et la fin tant attendue est réservée à la description minutieuse et lente des dernières quatre-vingt-dix secondes de la survie des êtres humains dans la ville de Saint-Pierre.
En lisant les premières pages de ce roman, le lecteur est perdu et s’interroge souvent sur la nature de la première personne du singulier employée. Mais cette ambiguïté est gommée peu à peu, et le lecteur se trouve dès lors surpris par l’identité de ce narrateur : en effet, la Montagne Pelée prend la parole cette fois-ci remplaçant l’homme qui n’a pas pu profiter, dans certaines circonstances, de la parole, cette arme qui le distingue des autres créatures par sa force élocutoire. Ce volcan menaçant est conscient du désastre qu’il causera, il semble fier de sa victoire mais essaie tout de même de sélectionner les vies qu’il désire garder et d’alerter les citoyens pour qu’ils se sauvent tout en annonçant l’éruption par plusieurs phases indicielles qui la précèdent. En confiant l’amusement qu’il ressent en écrasant et déchiquetant les corps, le volcan braque la lumière sur l’infidélité des hommes entre eux et leur amour-propre malsain, favorable à la mort de celui qui contrecarre son ambition de posséder les choses et les esprits. Cette contradiction concernant le plaisir du volcan auquel on a insufflé la vie, en voyant les hommes mourir, laisse le lecteur-Homme méditer à quel point ses actes sont atroces et insupportables. Car les politiciens ont préféré ne rien dévoiler au public afin d’empêcher l’exode de la population et, conséquemment, la perte des voix pour les élections prochaines. Le lecteur, témoin de ces actions blâmables, commence par accuser l’homme et défendre la colère du volcan. Ce désir d’anéantir les hommes aurait comme objectif la libération de la ville de ces mêmes hommes qui lui manquent de respect, afin qu’ils soient remplacés peut-être par une autre génération qui sera plus fidèle envers sa patrie et manifestera de la gratitude pour toutes ses ressources. Avec une liberté totale, Daniel Picouly, l’auteur de ce roman, laisse la Montagne Pelée exprimer son acrimonie envers l’homme, usant d’une tonalité ironique pour railler les actions perverses et éphémères des hommes sur terre. En revanche, le volcan éprouve une certaine compassion pour l’histoire d’amour et pour ces lavandières qui confient leurs histoires enroulées dans leur linge à la rivière, la ‘Roxelane’, dans laquelle le volcan rejette sa mousse brûlante. Cependant, il faut prendre en considération la gravité de ce phénomène qui a bouleversé la vie de victimes, jeunes et moins jeunes, qui n’ont rien à voir avec le mal. Quant au style, le fait de s’appuyer sur la diversité des histoires sans se concentrer sur une seule, enrichit sensiblement le déroulement des actions et surprend le lecteur, tenu par un enthousiasme continu qui lui permet d’arriver à la fin du roman. L’auteur a donc réussi à revisiter ce mythe historique qui date de 1902 et à rapprocher cet événement de l’image actuelle de chaque pays et des conflits politiques qui les déstabilisent, dans une langue soutenue, chargée de termes spécifiques relatifs à l’éruption. Et si la parole devient l’arme de défense de la nature, que de malheurs raconteront ces monuments naturels !
Rebecca SAKHAT
Département de Langue et Littérature Françaises
                                                                                                   Université Libanaise, section IV



Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Les Éditions de minuit, 2018 (189 p.)
La passion destructrice

Ça raconte Sarah est le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, un roman qui a beaucoup fait parler de lui tant par son sujet que par son style. Ça raconte Sarah relate en fait une relation amoureuse irrésistible entre deux femmes, la première étant Sarah et la seconde, la narratrice dont le nom est inconnu.

Au début, le lecteur pourrait être dérouté en croyant que le narrateur est un homme caché sous un pseudo féminin. Mais en fait, la passion décrite unit bel et bien deux femmes. Sarah est une violoniste concertiste, tandis que la narratrice est mère d'un enfant abandonné par son père. Dès la première rencontre, la narratrice tombe sous le charme de Sarah. Ce coup de foudre l'a menée à une relation de dépendance envers la violoniste, une relation ponctuée par les départs et retours de cette dernière. Or on sait que les pôles qui s’opposent s’attirent...

La rencontre avec Sarah a permis à la narratrice de se lancer dans une quête d’elle-même, de se poser des questions sur sa vie, son essence, sa personnalité. La passion dévastatrice serait-elle un remède ou une plaie qui s’ajouterait à celles déjà existantes ? La deuxième partie du roman nous livre la réponse…. Les histoires d’amour finissent mal. En effet, la vivacité laisse place à la mort, à la liaison succède la rupture et à la santé, la maladie. Une dichotomie dictée par la nature humaine. L'écriture devient ainsi lamentation puisque la narratrice tente d'échapper contre son gré à cet amour fou qui la poursuit de toutes parts.

Les expressions utilisées par P. Delabroy-Allard sont relativement exagérées, notamment quand elle compare la beauté et le caractère de Sarah au soufre et lui associe le symbole (S). Son style est simple et son rythme rapide, ce qui va de pair avec la vie bouleversée de la narratrice. Concision et précision ont le mot d’ordre.

Bref, P. Delabroy-Allard a réussi à créer une ambiance amoureuse qui touche le lecteur et le laisse perplexe, inquiet, ébranlé, tant la relation narrée par la fiction semble réelle.
Menna AL-KWASMI
Département de Français
Université d’Ain Shams


Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Les Éditions de minuit, 2018 (189 p.)
L’amour, la passion, le feu, la folie…
Ça Raconte Sarah raconte une histoire d’amour entre deux femmes, Sarah et la narratrice, qui se ressemblent beaucoup mais qui sont aussi très différentes l’une de l’autre sur plusieurs points. La narratrice, professeure, mène une vie solitaire et monotone de mère célibataire. Pour elle, la politesse et les bonnes manières sont essentielles. Sa vie est calme comme une mer d’huile.
Au contraire, Sarah est une violoniste qui mène une vie très dynamique, sans temps morts. Elle est toujours de bonne humeur et très expressive.
C’est lors du réveillon du nouvel an que nos deux protagonistes vont se rencontrer. À partir de ce moment, les événements vont s’enchaîner de plus en plus vite. Elles semblent faites l’une pour l’autre. Mais cet amour qui naît va se transformer en passion destructrice…
Pauline Delabroy-Allard nous décrit une histoire belle et simple avec une expression agréable et enlevée, une langue de tous les jours. Ce style permet de faire ressentir les émotions au lecteur dès le début, à travers des indices et des détails comme la tempête et la lettre S, initiale emblématique de Sarah mais aussi du soufre. Tous ces indices nous font comprendre ce qui arrivera par la suite à cause de cette passion sans limite.
La narratrice partage avec nous sa passion débordante et on constate qu’elle s’aggrave à mesure que l’on avance dans le roman. Cette relation illogique et contre-nature va la pousser vers la folie. La narratrice va se consumer de l’intérieur : elle ira droit à sa perte, la perte du sens de la vie, de la famille et de l’ordre.
Pauline Delabroy-Allard nous présente un brillant complot dramatique en racontant l’amour entre deux femmes mais peut-être voulait-elle mettre en scène un homme à la place de Sarah qui est décrite comme un homme. À la fin, elle veut nous livrer un message : l’excès de passion entre n’importe quelles personnes peut nous conduire à la folie et à la perte de la vie.
Rasha ATTITALLA
Département de Français
Université de Khartoum


Nicolas MATHIEU
Leurs enfants après eux
Éd. Actes Sud, 2018 (432 p.)
Elle est bête, la jeunesse !
Leurs enfants après eux décrit le monde d'un petit groupe d'adolescents dans l'Est de la France, dans les années 1992 à 1998. L'attention est portée sur Anthony, fils de Français moyens. Nous allons le suivre de ses 14 à ses 20 ans, le temps de quatre étés.
Eté 92, la canicule sévit. Anthony et son cousin s'ennuient comme des rats morts. Ils enchaînent les bêtises et volent un canoë dans un hangar pour aller voir ce qui se passe sur un bout de plage que la rumeur dit naturiste. Leurs occupations sont toujours les mêmes : jeux vidéo, fêtes, beuveries, fumer des pétards et essayer de « pécho les filles. »
En lisant cette histoire, j'avais l'impression que tout ce que l'histoire a d'intéressant est le fait qu’elle se situe pendant les années 1990 (presque toutes les deux pages, il y a une référence à un groupe musical, un jeu vidéo, un film, en somme, à un produit… des années 1990). Il n'y a pas vraiment de particularités ni d'aspects uniques ou intéressants qui différencient cette histoire des milliers d'autres traitant de cette même période. Mais il faut bien noter que je n'ai pas vécu durant ces années, et donc qu’à aucun moment je ne me suis senti connecté à mon adolescence. Je n'ai pas ressenti de nostalgie en lisant l'histoire.
Dès le début et jusqu'à la fin, Anthony n'évolue pas d'une manière remarquable – ni le reste de ses amis et les autres personnages, d’ailleurs. Il n'y a pas de développement de leur personnalité ni dans leurs habitudes.
On notera cependant qu’il y a une certaine propagande tout au long du récit sur les gens de la classe ouvrière, avec un message moral qui précise que si on ne poursuit pas d’études pour s'en sortir, on ne sera rien. On deviendra comme nos parents ouvriers. J'ai trouvé cette partie de l'histoire un peu étrange. Car ces mots peuvent laisser croire à une certaine impression de mépris qui transpire à l'égard d'une certaine catégorie de personnes et peuvent blesser certains lecteurs, comme dans cet extrait :
On se demandait tout de même quelle vie pouvaient mener ces gens, dans leurs médiocres logis, à manger gras, s'intoxiquant de jeux et de feuilletons, faisant à longueur de temps des gosses et du malheur, éperdus, rageux, résiduels. Il valait mieux éviter de se poser la question, de les dénombrer, de spéculer sur leur espérance de vie ou leur taux de fertilité. Cette engeance marinait sous les seuils, saupoudrée d'allocs, vouée à finir et à faire peur.
Enfin, le style d'écriture de Nicolas Mathieu est fluide, simple et facile à comprendre. On notera aussi une richesse de détails et de descriptions. Mais en dépit de tout cela, il n'y aura aucun détail ni événement qui perdurera dans ma mémoire.
Musab MASRI
Département de Français
Université de Khartoum



Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Les Éditions de minuit, 2018 (189 p.)
Un amour aberrant
Différemment de toutes les relations d'amour auxquelles on est habitué lorsqu’on lit des romans et qu’on regarde des films relatant des histoires d'amour qui, ordinairement, se déroulent entre un homme et une femme, Pauline Delabroy-Allard nous retrace un autre genre d'histoire d'amour rare, voire inhabituelle, celle unissant deux femmes. Une vraie aberration !
Sarah est une fille pas comme les autres. Une jeune fille d'une beauté inédite, mystérieuse, avec un nez abrupt d'oiseau rare, des yeux d'une couleur incroyablement verte, des yeux de serpent aux paupières tombantes. L'histoire raconte un printemps dans Paris où Sarah est entrée dans la vie d'une femme, française comme elle, mais mère d'un enfant et professeure à l'école. Une femme aussi belle, charmante et radieuse qu’elle mais un peu plus mature. Les deux femmes se rencontrent donc, sympathisent et tombent éperdument amoureuses l'une de l'autre. Toutes seules et sans un bruit, elles commencent à mener une vie très heureuse. Une vie pleine de perversions et dans laquelle chacune des deux est affectivement dépendante de l'autre. Un désir ardent et une passion folle dominent les femmes dites lesbiennes dans la vie. Elles s'aiment d'un amour charnel au-delà de tout, comme entre un homme et une femme. L'excès de passion qu’elles se témoignent l’une à l’autre les a conduites à la déraison, à la criminalité et, en un mot, à leur perte.
L'histoire est pathétique et frappante dès le début, vu qu’elle parle d'amour, même si c'est un amour aberrant. La description détaillée des deux créatures approfondit énormément le sens de la relation qui les lie. J'étais à plusieurs reprises marqué par leur façon de s'aimer et j'ai même au bout d'un moment cru lire une histoire amoureuse entre un homme et une femme. J'ai douté que cela puisse se passer entre deux femmes. Le milieu du récit est similaire au commencement, le rythme en est plus ou moins accéléré et l’on devine que cela cache quelque chose d'inintéressant. Mais au niveau de l'aberration, aucun changement, et l’on sent même que c'est exagéré et que tout cela risque de finir mal. La fuite de la femme à la suite de sa découverte du cancer du sein dont sa bien-aimée Sarah est atteinte, et suite à laquelle elle succombe, constitue un grand tournant dans l'histoire. La fin de l'histoire est comme prévue, touchante, lamentable et tragique. Une mort comme un assassinat, une petite fille abandonnée au milieu du monde, le spectre de Sarah, des hallucinations étouffantes jusqu'au dernier souffle, toutes ces choses ont donné une fin tragique au récit. C'est un roman à lire absolument !
Mohammed Yagoub HANAFI
Département de Français
Université de Khartoum


Thomas B. Reverdy
L’hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (224 p.)
L’hiver du mécontentement
     Allez vite ! Mettez-vous à vélo ! On pédale avec Thomas B. Reverdy et son héroïne Candice pour traverser Londres. Londres des années 1970 du XXème siècle, qui se trouve paralysé par l’inflation, la crise, le chômage, la faim, la pollution, les grèves... C’est Londres à « l’hiver du mécontentement ». Celui de Margaret Thatcher, celui de Richard III, de Candice, de Londres tout court …
Candice – avec toute la blancheur et la candeur que son prénom suggère – est une jolie jeune fille de vingt ans, rousse ou plutôt « ambrée » (p. 137) si on lui laisse le choix de se décrire. Elle est surtout apolitique – comme si on pouvait l’être dans tout ce contexte sociopolitique de l’hiver 1978-1979 –, travaillant le jour comme coursier, parcourant ainsi tout Londres à vélo, pour pouvoir se payer des cours d’art dramatique et répétant chaque soir avec une troupe de comédiennes, « les shakespearettes », une comédie dont Richard III est le héros.
Neutre, simple et apolitique en apparence, Candice participe à la lutte en distribuant des pliants, et en faisant en sorte que ses collègues le fassent eux aussi et ce à l’insu du patron. Elle le paiera cher, sa chair en subira les conséquences. C’est elle qui assure la jonction ou le parallélisme entre l’arrivée au pouvoir de Richard III avec son « hiver de mécontentement » (1ère réplique que le personnage de Shakespeare lance dans la pièce) et celle de Margaret Thatcher avec « l’hiver de mécontentement » du Sun, cet hiver qui la voit intronisée 1ère ministre d’un pays chaotique.
C’est cette même Candice qui, avec sa même abstention, affronte Thatcher et réussit à la provoquer : « Elle m’a regardée d’une façon, comme si elle pouvait me déchirer, comme une simple feuille de papier, hop, à la poubelle. Il y avait un mépris profond dans le regard de Margaret Thatcher », précise-t-elle à la page 147.
Mais l’auteur préfère taire la réaction de Mme la Première ministre du Royaume Uni contre l’ultime provocation que lui lance cette même Candice. Réaction en suspens.
Un simple coup d’œil sur l’histoire passée, sur le contexte politique contemporain suffira pour en avoir la réponse : les politiciens font fi de l’opinion publique.
Le lecteur peine d’ailleurs à distinguer qui est le véritable énonciateur qui se cache derrière ce défi. Est-ce Richard III qui l’exhorte d’outre-tombe à lui dire combien ils sont semblables tous les deux ? – Je jouais parce que « les garçons, ils jouent » et tu souris, lui aurait-il dit (p. 188).
Est-ce Shakespeare se cachant derrière le personnage de Richard III qui lui rappelle que tous les intellectuels et tout le peuple observent et jugent ? - Ils en feront des comédies, ils écriront des romans.
Est-ce Candice, la fille de la fin du XXème siècle qui représente cette société exaspérée ? parce que « la bataille ne fait que commencer » (p. 215)
Ou est-ce seulement Thomas Reverdy qui veut rappeler à son lecteur que la pièce de Shakespeare est toujours d’actualité au début du XXIème siècle ? Et que la Dame de Fer peut rivaliser avec l’assassin des deux princes, signe que la politique ne change pas en elle-même mais qu’elle change simplement d’acteurs, comme une même comédie jouée à deux reprises à presque quatre cent ans d’intervalle ? Et qu’on souffre toujours du chômage ?
L’auteur peint un Londres meurtri, il réussit à en dresser un tableau aussi véridique et réel que « scandaleux ». En effet, toutes les sensations contribuent à la description d’une capitale dont le système est en déchéance, et dont tous les syndicats font la grève.
Le lecteur voit, écoute, sent, touche, goûte même, la chute d’une ville paralysée qui s’habitue, au fur et à mesure des trajets parcourus par Candice, à ne plus rien ressentir.
Ni le goût d’un certain métal dans l’eau.
Ni la faim de certains chômeurs qui, comme Jones, ne trouvent rien à manger.
Ni l’odeur des ordures qui s’entassent de jour en jour.
Ni les rats qui pullulent.
Ni les attouchements d’un patron hardi.
Ni les marques rouges causées par le froid sur la peau blanche d’une jeune rousse.
Ni le cri du peuple à travers grèves et manifestations.
Ni la musique à voix haute dans la maison d’une jeune fille.
Ni la rébellion dans les chansons de l’époque – et qui ponctuent les chapitres.
Et Thatcher de sourire aux électeurs, aux objectifs.
Elle continue à sourire, tout le temps. Malgré son zéro « Zéro – c’est le nombre d’emplois créés par la politique économique de Thatcher » lit-on à la page 203.
C’était au peuple de trouver des jobs avant elle, et c’est au même de trouver des jobs. Le Do it yourself n’a changé que pour Just do it.
Traverse la rue et tu trouveras un job…
Si la fiction se limite au petit exemple de Candice et de son cercle étroit, et si elle s’inscrit dans la réalité de l’histoire sociale et politique, on peut toutefois parler ici du roman d’une ville ou d’un livre d’histoire sur un peuple, à une époque charnière qui marque la passation de pouvoir vers un clan conservateur. 
Chantal BITAR
Département de Littérature et Langue française
Université de Balamand


Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
Quatre-vingt-dix secondes
Le 8 mai 1902 est une date gravée dans l’histoire de St-Pierre de la Martinique : C’est le jour où la montagne Pelée explose, causant la mort de 30 000 personnes, en 90 secondes d’éruption.
Daniel Picouly situe le roman dans un cadre historique où les protagonistes sont les habitants d’un village ravagé par la cruauté de la nature. Vus d’en-haut, ces personnages semblent mener une vie normale malgré les indices et les avertissements que ne cesse d’envoyer le volcan – narrateur du roman –, nommé Pelée. Celui-ci domine St-Pierre, manipule son destin, calcule les vies qu’il ôtera, les maisons qu’il détruira, comme par vengeance. Il se veut cruel et tout puissant par rapport à la petitesse des hommes, qui sont absorbés par la banalité de la vie quotidienne sans tenir compte des réels dangers et des vrais problèmes auxquels ils risquent d’être confrontés. Mais c’est surtout sa colère contre la politique et la discrimination qui le rend plus atroce. En effet, ses prémices d’explosion ont commencé quelques jours avant les élections prévues le 11 mai, épreuve qui n’aura finalement jamais lieu à St-pierre.
Nous découvrons dès lors la complicité du gouverneur Moutet avec le maire Fouchet, le professeur Landes et le journaliste Hurard qui essaient d’apaiser la peur des habitants. Il s’agit, en effet, d’une décision politique supérieure à tous : Paris refuse l’évacuation.
Cependant, au sein de ce cadre historique, se tisse une histoire d’amour qui lutte pour survivre : Othello, jeune homme vif, courageux et romantique, est amoureux de Louise que Mr Vintelle, homme de pouvoir, veut épouser. Ce dernier engage un criminel, Outreville, pour entrer en duel avec Othello et le tuer. L’intervention de la Pelée, lors de ce duel, retentit comme une déclaration de sympathie, voire une bénédiction de l’amour d’Othello et de Louise, un amour rejeté par la société pour des considérations raciales.
Aussi, outre les politiciens et les hommes de pouvoir, nous croisons dans ce roman une autre tranche de la société de ce village, celle des lavandières à laquelle appartient Julie, la mère adoptive d’Othello. On retient aussi Mona, grand-mère d’Othello avec qui il partage des secrets, La Garlaban.
Néanmoins, malgré la cruauté de la Pelée, celle-ci éprouve le désir de sauver quelques âmes. Qui choisira-t-elle ? Le suspens ne manque pas à ce roman, il se faufile entre ces pages, créant chez le lecteur le désir de sauver les habitants, de les inciter à s’embarquer et de changer leur destin.
90 secondes est un livre percutant. Il décrit d’une manière captivante l’un des épisodes les plus douloureux de l’humanité. Le lecteur assistera aux dernières minutes vécues par des personnages à qui il s’attache, tantôt par empathie, tantôt en les rejetant et sillonnera St Pierre dans une tentative de sauvetage et de fuite d’un destin périlleux, inéluctable… Y aura-t-il une lueur d’espoir au milieu de cette nuée ardente ?
Zeina DAGHER
Département de Littérature et de Langue française
Université de Balamand


Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Les Éditions de minuit, 2018 (189 p.)
Ça raconte Sarah
 Pauline Delabroy-Allard a trente ans. Après des études de littérature et de cinéma, elle obtient le CAPES et devient professeure documentaliste dans un lycée parisien. Très remarqué par la critique, ce premier roman bref et audacieux figure dans la première sélection du Goncourt et fait partie des cinq titres en lice pour le Prix Roman des étudiants France Culture- Télérama.
Ça raconte Sarah, constitué de deux volumes, est le récit d’une passion amoureuse entre deux femmes, la narratrice et Sarah.
La narratrice, dont le nom ne sera jamais donné, est une jeune professeure de lycée. Suite à la disparition de son mari, elle élève seule sa fille et partage une vie de chagrin avec son nouveau compagnon, un Bulgare.
Elle rencontre Sarah un soir de réveillon chez des amis, à un moment où elle a l’impression de vivre une période de « latence » seule avec sa fille depuis le départ de son mari.
Sarah est violoniste, joyeuse, fougueuse et fonceuse. Elle rentre dans la vie de la narratrice comme un ouragan. Les deux jeunes femmes se revoient rapidement et tombent amoureuses. Cette partie du roman emprunte une forme ascendante qui s’enroule autour du coup de foudre. L’amour avec une femme y est assimilé à une tempête. Vouloir tout savoir de ce qui intéresse l’autre, attendre le prochain rendez-vous, avoir le cœur qui bat tout fort, écouter en boucle un CD offert par Sarah, posséder un goût partagé pour les mêmes choses, aller ensemble au concert, se promener dans Paris : voilà la passion ultime qui se manifeste, pour la première fois, dans cette relation homosexuelle. La narratrice est emportée dans un tourbillon de folie auprès d’une Sarah instable, inconstante. S’ensuit pour la narratrice une relation de dépendance vis-à-vis de Sarah, relation ponctuée par les départs et les retours de la violoniste au gré de ses concerts en tournée avec son quatuor. Puis, c’est la rupture brutale provoquée par Sarah : « Elle m’épuisait mais je crève sans elle », jusqu’au jour où la violoniste lui apprend qu’elle est très gravement malade.
      « Elle est vivante » : une phrase qui résume tout, mais qui annonce, dans l’ombre, le malheur à venir, la mort de Sarah. La deuxième partie du roman prendra ainsi une dimension dramatique.
Cette deuxième partie prend la forme d’une spirale descendante, celle des premières fissures dans la passion. Sarah tombe malade, elle a un cancer du sein. Son profil de « morte » remplace « elle est vivante ». Le corps se dégrade, la mort guette. Les histoires d’amour finissent mal. La narratrice s’enfuit en Italie. Les phrases se délitent. Les chapitres s’allongent. Le rythme ralentit. L’ouragan est passé. La flamme s’éteint doucement, c’est fini. C’est le commencement du deuil douloureux.
En effet, dès la première lecture, on sent que ce roman n’est pas comme les autres, qu’il a quelque chose de spécial.
Le style de l’auteure a réussi à nous entraîner dans la spirale amoureuse imaginée par cette nouvelle écrivaine des Éditions de Minuit. L’homosexualité n’est absolument pas le sujet du livre, cette histoire pourrait être la même si elle narrait une relation hétérosexuelle. Ce qui est important dans ce roman, c’est la façon de raconter la vie, l’amour, le désespoir, la souffrance. Ça raconte un petit bout de la vie de chacun de nous. Avec des phrases courtes et simples, l’auteure maintient un rythme haletant à l’image de la passion. L’écriture est tout simplement incroyable. Le texte est très poétique. Cette série de courtes phrases compressées les unes aux autres suit le rythme des pulsations d’un cœur qui bat à toute vitesse.
Par contre, la deuxième partie semble longue. Le rythme d’écriture, plus lent, pèse trop. Les évènements sont trop détaillés et répétés et il aurait été préférable de connaître la réaction de ces protagonistes face à la maladie. Pourtant, il est indéniable que l’auteur a excellé dans sa façon de détailler certains faits, rendant ainsi son roman digne de porter le nom de chef d’œuvre.
Layla SOUEID
Département de Littérature et Langue française
Université de Balamand

Thomas B. REVERDY
L’Hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (220 p.)
London Calling
« Run Like Hell! » C’est avec ces mots, extraits d’une chanson de Pink Floyd, que nous débarquons dans cette narration française, celle d’une période de crise en Angleterre, vers la fin des années 1970. Le gouvernement travailliste s’oppose alors à une hausse des salaires, et de ce fait, les grèves commencent à s’organiser partout dans le pays. Ainsi, le début de L’Hiver du mécontentement est marqué par une phrase empruntée à Richard III de Shakespeare. C’est en effet dans cette même pièce que Candice, jeune comédienne et livreuse à vélo, va jouer le rôle du roi Richard III, dans une mise en scène exclusivement féminine. Dans ce roman, une femme va bientôt monter au pouvoir, cette fois non pas sur la scène de théâtre, mais en tant que chef du gouvernement Britannique : Margaret Thatcher, qui prend des cours de diction dans la même salle où Candice et ses amies se préparent pour leur spectacle.
Ce n’est pas la première fois que Thomas B. Reverdy nous embarque dans un voyage littéraire. Déjà auteur de 8 romans et récompensé par plusieurs prix littéraires, Reverdy est passé par les États-Unis et le Japon avant d’arriver en Angleterre. Il admire l’écrivain américain Richard Brautigan, et cette admiration se manifeste à travers la phrase placée en exergue de cet ouvrage, extraite de Mémoires sauvés du vent, un livre que Reverdy lit une fois par an, depuis vingt ans’ : « D’où je suis assis, en ce 1er août 1979, je colle mon oreille au passé comme si c’était le mur d’une maison qui n’est plus. »  Il est déjà clair qu’il est bel et bien influencé par la culture anglophone. De ce fait, en lisant cette œuvre, l’on rencontre de nombreux éléments qui sont étrangers pour nous autant que pour les lecteurs français.
Selon le dictionnaire L’internaute, dans un roman historique, ‘l’action est inspirée par des faits et des personnages historiques.’ Dans ce roman cependant, cette inspiration se change en obsession. On lit, page après page, des détails de l’histoire contemporaine de l’Angleterre, de telle sorte que l’histoire de l’héroïne Candice se trouve revêtir une importance mineure. L’auteur essaie de lier ces deux récits par le biais de comparaisons entre le personnage de Richard III et celui de Margaret Thatcher, néanmoins les similitudes nous semblent assez forcées. Le résultat est un roman dans lequel le texte et le contexte ne coïncident pas vraiment.
Faut-il lire ce roman, si ce n’est pour jouir d’une œuvre fictionnelle, du moins pour apprendre sur l’histoire ? La réponse est Non : vers la fin du livre, on tombe sur un glossaire alphabétique expliquant quelques termes politiques et économiques liés aux années 1970 et 1980. Dès la lettre A, on s’aperçoit que l’auteur n’a pas fait suffisamment de recherches pour pouvoir présenter un livre basé sur des données historiques concrètes et par conséquent, on ne parvient pas à faire confiance à ce qu’il présente comme étant l’Histoire. Chaque chapitre porte le titre d’une chanson rock ou punk anglaise : aussi, si vous avez envie de trouver une excellente playlist, ce livre est conseillé, sinon il en existe de beaucoup plus attirants et enrichissants...
Parham ALEDAVOOD
Département de Français
Université de Téhéran
François VALLEJO
Hôtel Waldheim 
Éd. Viviane Hamy, 2018 (304 p.)
La force de l’oubli
Passionné par la littérature, François Vallejo a commencé à écrire des romans depuis les années 1990. Son œuvre Madame Angeloso et Hôtel Waldheim font partie de la deuxième sélection du prix Goncourt 2001 et 2018 respectivement. Ce dernier est un véritable coup de cœur.
Ce prodige tourne autour d’une confrontation entre deux mémoires, celles de Jeff Valdera et Farida Steigl. À travers les archives de Herr Steig, récemment mises à disposition par la Stasi (police secrète en Allemagne), Valdera se rend compte que les historiens qu’il a rencontrés autrefois à l’hôtel n’étaient qu’un réseau d’espionnage pendant la guerre froide. Parmi ces espions, figure le père de Frida qui a abandonné sa famille pour cette affaire. La construction de l’œuvre en chapitres assure sa cohérence, mis à part quelques détails descriptifs.
Du point de vue historique, il est vraiment intéressant de nous faire revenir à l’époque de la Deuxième guerre mondiale où l’espionnage joue un rôle majeur.
Quant au style de Vallejo, il est pourvu de toutes les qualités d’écriture. L’auteur bénéficie d’une plume si artistique qu’il nous plonge dans le monde vertigineux des souvenirs. Derrière une apparente facilité stylistique, l’auteur possède une écriture nette et précise. Tout puissant, il expose le degré de la capacité de la mémoire humaine à se rappeler les événements. Il peint avec aisance la crédulité des humains, trompés par les fausses apparences, laissant apprécier au final la valeur de la vérité et de l’identité.
En somme, il serait bien regrettable de se refuser un tel plaisir de lecture.
Rana EL GAYAR
Département de Français
Université d’Ain Shams
Paul GREVEILLAC
Maîtres et esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
Maîtres et esclaves
         Romancier et nouvelliste français, Paul Greveillac est né en 1981 et a étudié les Lettres et les Sciences politiques.
Maîtres et esclaves est son deuxième roman, qui raconte la vie d'un garçon nommé Kewei, né à l'aube de la révolution culturelle dans un village de la Chine rurale, au pied de l'Himalaya. Fils d'un paysan, Kewei était passionné par le dessin et la peinture comme son père. Dessinant du matin au soir, il prétendait enseigner la nouvelle peinture au service du peuple.
Cependant, pour réaliser son rêve, il doit surmonter quelques obstacles, dont la volonté de sa mère, contre laquelle il lutte afin de développer son art. Celle-ci voulait en effet que son fils soit un bon paysan comme tous les autres enfants, et qu’il aide à sauver son village de la famine. Mais Kewei en a décidé autrement : persistant à réaliser son rêve, il a été envoyé à l'académie des "Beaux-arts" à Pékin pour devenir peintre. Et au final, il est devenu le peintre du régime. Son ascension ne connaît plus de limite.
En ce qui concerne son style, l'auteur a manié sa production littéraire avec autant de force que de minutie. Mais le rythme du livre est monotone.
De plus, on a senti que l'auteur nous a emmenés pour un voyage en Chine à travers une focalisation sur des détails révélateurs de cette culture et une description des plus pertinentes.
Martina WAGUIH
Département Français
Université d’Ain Shams
Tobie NATHAN
L'Évangile selon Youri
Éd. Stock, 2018 (280 p.)
L'Évangile selon Youri
L’Évangile selon Youri est un roman véridique qui raconte au plus près certaines sensations expliquant nos difficultés actuelles. Nous vivons en effet dans une situation de marasme, et l'explication de ce marasme serait en lien avec l’arrivée d’un phénomène qui va venir bouleverser notre monde : l'arrivée d'un nouveau dieu à Paris l'année prochaine.
Il y a deux personnages importants dans ce roman : le conteur, celui qui porte le récit, un vieux psy, fatigué, revenu de ses illusions de jeunesse, qui s'appelle Élie. Ce vieux psy reçoit un jeune tzigane âgé d’une dizaine d'années, migrant sans papiers et sans famille, occupé à mendier sur les trottoirs de Paris. Il va alors tenter de s'occuper de lui, sauf qu’en fin de compte, c'est le migrant qui s'occupe du psy, et non le psy qui s'occupe du migrant. Et c'est le récit des aventures de Youri raconté par Élie.
L'image de Youri est pleine de mystère. Comme le Christ, « il accomplira des miracles » (p. 202), « Il appelle les ancêtres » et ces derniers « ont répondu » (p. 148). Tout cela sans s’imposer, car comme le lecteur le découvrira, « Youri sait gommer sa présence … » (p. 160).
« C'est un enfant, mais les murs s'ouvrent devant sa vue et les hélicoptères vient se poser dans sa main. » (p. 167). Ce magicien est ainsi une « personne douée, capable de déplacer les objets sans les toucher » (p. 36).
Il est toujours accompagné par des phénomènes étranges : une chute dans l'escalier, l’éclatement d’un collier, éclats de verres, vibrations des murs, danse des objets … (p. 37).
Ce personnage presque extraterrestre « parle la langue des oiseaux » (p. 73), à l’image du Christ qui parle aux animaux.
Les messages que le roman fait passer sont qu’à chaque époque et à chaque peuple, correspond un Dieu. Tous les dieux qu'on connaît – celui du Judaïsme, du Christianisme et de l'Islam – sont propres à l’époque où ils sont apparus. Pourquoi n'y aurait-il donc pas un nouveau dieu pour nous et pour notre époque ? La leçon de ce roman est qu’il faut apprendre à faire attention aux émigrés qui peuvent être doués et même surdoués.
Khudhair ABBAS MATHI
Département de Français
Université de Bagdad

Tobie NATHAN
L'Évangile selon Youri
Éd. Stock, 2018 (280 p.)
L'Évangile selon Youri
Qu'est ce qui se passerait si un dieu apparaissait parmi nous maintenant, au XXIème siècle ? Est-ce qu'il s'intéresserait à l'Internet, aux portables ou à la technologie ? Est-ce qu'il contrôlerait les guerres ?
Dans ce roman intitulé L'Évangile selon Youri, l’auteur, Tobie Nathan, nous invite à méditer de telles questions. Né en 1948 au Caire, Nathan est un psychologue, professeur émérite de psychologie. Il a écrit de nombreux romans, parmi lesquels figurent Les Nuits de patience et Ce pays qui te ressemble.  
Dans le présent roman, l’auteur transpose ses idées via le narrateur, homme âgé et divorcé qui s'appelle Élie. Ce dernier est un psychologue au Centre national des migrants. C’est là qu’il rencontre un petit migrant gitan, Youri.  Enfant extraordinaire, Youri possède un pouvoir magique : il fait des miracles. L’auteur a donc choisi le titre L'Évangile, selon Youri pour indiquer que Youri vient dans le monde en apportant de bonnes nouvelles et avec la promesse de changements meilleurs pour l’humanité.
Selon mon point de vue, Nathan mérite le prix Goncourt parce qu’il met l'accent sur l'importance des actions plus que sur les mots. Ainsi exhorte-t-il les jeunes à changer leur manière de penser et de juger les autres.
Par ailleurs, son style d’écriture est précis et dense. Les phrases sont courtes et simples. Le rythme des évènements est rapide. L'auteur dépeint avec talent des idées originales en s’aidant d’un vocabulaire religieux riche et d’un lexique valorisant.
Il serait bien regrettable de se refuser un tel plaisir de lecture, en vivant cette aventure avec l’auteur tout au long de ces 300 pages et en découvrant différentes cultures.
Youstina SAFWAT FAWZI
Département de Français
Université d’Ain Shams

David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (176 p.)
Un évènement qui vaut le détour
Frère d'âme est un roman de David Diop, qui est Maître de conférences en littérature française du XVIIIème siècle à l'Université de Pau et des Pays de l’Adour, depuis 2014. Il a grandi au Sénégal. Agrégé de lettres, il a à son actif plusieurs publications portant sur les représentations européennes de l'Afrique et des Africains au siècle des Lumières.
Dans le présent roman intitulé Frère d'âme, il s’agit de Mademba Diop et d’Alfa Ndiaye, deux amis très proches – presque deux frères. Enrôlés comme soldats sénégalais pendant la Première Guerre mondiale, ils ont combattu pour la France contre l'Allemagne. Un jour, Mademba reçoit un coup de l'ennemi. Se trouvant à demi-mort, il supplie son ami Alfa de l’égorger pour mettre fin à son supplice, mais Alfa n’ose pas accomplir le geste. Cela aurait été de l'inhumanité, selon la voix de son cœur. Dès lors, il essaiera de se venger de l’ennemi, réaction concrétisant une humanité retrouvée, d'après la voix de la raison. Mais depuis la mort de son « Frère d'âme », Alfa est pris de remords pour n’avoir pas répondu aux supplications de son ami, ne se consacrant qu’à tuer l'ennemi en croyant que c’était cela, l'humanité. De héros de guerre, Alfa s'est ainsi transformé en homme sauvage, coupant les mains des ennemis, tuant au corps à corps et ramenant ses victimes comme des trophées. Alfa se retrouve donc choqué et confus : ses sentiments et ses principes ont tellement été mis à l’épreuve qu’il n'est plus capable de garder sa conscience en éveil. Même ses amis de guerre, dans les tranchées, ont désormais peur de lui.
Il s’avère donc que ce roman est basé sur deux notions antithétiques : l'humanité et l'inhumanité. Ici, David Diop soulève une question très importante : quand devrait-on être humain et quand doit-on se déshumaniser ? Et voici la réponse bien formulée : « ce n'est pas l'homme qui dirige les événements mais les événements qui dirigent l'homme ».
D'après les événements du roman, l'auteur a montré que ce sont les situations, auxquelles nous faisons face dans la vie, qui nous incitent à changer notre comportement et notre vision. Il a fait preuve d’une certaine sagesse quand il a expliqué que la raison et le cœur sont indissociablement liés, et que si on les sépare, l’on risque de devenir une personne double. Autrement dit, on ne devient pas forcément inhumain quand on écoute la voix de la raison et on ne sera pas toujours humain quand on suit son cœur. Aussi devra-t-on s’efforcer d’avoir une âme libre, équilibrée entre les deux.
À mon humble avis, il me semble que ce roman psychologique mérite le prix Goncourt parce qu’il traite de sujets contemporains tels que le conflit des valeurs et l'euthanasie. Par ailleurs, le style de l'auteur, en développant les événements, est très simple et distingué. Abstraction faite de la répétition des mots et des phrases, l’auteur a réussi à attirer l’attention du lecteur sur la profondeur du sens. Les phrases sont courtes, et le romancier a renforcé et approfondi ses idées par des citations expressives et des figures de style évocatrices. En outre, le vocabulaire est violent au niveau de certaines parties, ce qui convient aux scènes de la guerre et de mort. En somme, il serait bien regrettable de manquer un tel plaisir de lecture.
Irini Ossama FAYEZ
Département de Français

Université d'Ain Shams

David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (175 p.)
Frères … au de-là de la mort
Ce roman, écrit à la première personne, retrace les conséquences horribles de la guerre sur la personnalité de l’individu, en particulier sur celle du guerrier. Le narrateur qui n’est autre qu’Alfa Ndiaye relate la mort de Mademba Diop, son « ami d’enfance » qu’il considère comme son frère, sur le champ de bataille.
En effet, ces deux amis sénégalais partent pour la guerre en France, afin de s’installer à « Saint-Louis » et de devenir « des citoyens français ». Par ce moyen, ils souhaitent faire évoluer leur situation, et par conséquent celle de tout le Gandiol pour enfin partir à la recherche de Penndo Ba, la mère d’Alfa Ndiaye. Le narrateur retrace de manière minutieuse et touchante, en la déplorant, la mort de son ami éventré. Cette mort atroce marque en effet profondément la personnalité de Ndiaye et constitue un tournant décisif dans sa vie. Il se transforme en lutteur agressif, en « dévoreur d’âme » qui se délecte en tuant ses adversaires. Dès lors, Alfa ne se contente plus de tuer l’ennemi et de rapporter son fusil à la tranchée mais de revenir avec la main coupée de son adversaire, attachée au fusil. Ainsi, se jette-t-il dans un jeu de violence et n’hésite pas, après avoir capturé ses ennemis, à les ligoter, à les déshabiller, à les éventrer au moyen de sa coupe-coupe, à les amputer de la main et à regarder longuement dans leurs yeux pour les voir souhaiter la mort. Cet acte de torture abominable n’assouvit pas la passion violente du narrateur pour la vengeance. En fait, Alfa continue ce « jeu » et s’amuse à rassembler des mains et à s’en préoccuper. Il en garde sept en les salant, resalant et en les asséchant. Pour lui, il est aisé de les distinguer car il connait parfaitement le propriétaire de chacune d’entre elles.
Toutefois, le capitaine Armand, qui détecte dans les yeux d’Alfa une violence poussée à l’extrême et une sauvagerie irréversible, lui recommande de se retirer. Alfa comprend que ses amis ont peur de lui et que, même le capitaine veut l’éloigner. Lors de sa retraite chez le docteur François, en lui montrant trois dessins, le jeune homme se retourne vers son enfance passée dans son Gandiol natal et évoque avec nostalgie l’image de sa mère, celle de Mademba. Aussi, lors de cette retraite, Alfa s’écarte-t-il de l’ambiance horrible de la guerre et connaît les délices de la vie en rencontrant la fille du docteur François. Une nuit passée auprès de cette dernière lui rappelle son aventure avec Fary Thiam, la veille de son départ à la guerre. Le roman se clôture par une confusion identitaire : le narrateur qui, au début, est Alfa Ndiaye, se transforme dans la dernière page en Mademba qui lui aussi ne peut pas oublier son « plus que frère » après sa mort.
Enfin, la violence règne dans ce roman. L’auteur insiste sur l’inhumanité de la guerre, ses effets néfastes sur la dégradation de l’humanité du guerrier et son pouvoir inexorable à modifier les individus. La guerre, cette faucheuse, qui tue impitoyablement, et indépendamment de l’identité ou de l’objectif de ceux qu’elle rencontre en chemin, mérite d’être refusée et combattue par le monde entier. N’est-il pas clair, d’ailleurs, qu’à travers ce roman, le message d’abolir la guerre est une nécessité primordiale pour la protection de la dignité humaine ?
Remi HASSAN
                                                                              Département de Langue et Littérature françaises Université de Balamand


Nicolas MATHIEU
Leurs enfants après eux
Éd. Actes Sud, 2018 (432 p.)
La nostalgie du passé
Leurs enfants après eux est un roman social de Nicolas Mathieu. L’écrivain remonte à ses racines et trace un portrait réel de la vallée où il a vécu. Reliant quatre étés : 1992, 1994, 1996, 1998 et quatre adolescents : Anthony, Stéphanie, Hacine et Clémence, il dépeint le vécu d’une vallée de l’Est de la France après la fermeture de ses usines. Anthony, après le divorce de ses parents, vit avec sa mère et rompt ses relations avec son père alcoolique. Il vit une relation amoureuse avec Stéphanie qui rêve de devenir parisienne et de mener à Paris une vie hors du commun. Tout au long du roman, les adolescents veulent à tout prix fuir le destin de leurs parents : la déprime, l’ennui, la routine… Mais réussiront-ils vraiment à s’écarter d’un trajet déjà tracé ?
            C’est avec un style naturel, simple et un langage familier que N. Mathieu réussit à nous impliquer dans l’atmosphère des adolescents et à atténuer le ton quasi tragique de ce roman. D’ailleurs, l’auteur ne manque pas d’évoquer les détails qui font les petits bonheurs des adolescents (leurs amours, leurs activités) et de leur accorder des caractères humains qui se révèlent à travers leurs attitudes contradictoires.
Ce roman qui nous plonge également dans les tendances de l’époque : chansons, activités, football, n’en est pas moins universel : de par ses faits sociaux et humains, il est valable en tout temps et en tout lieu.
Ghada DAMAA
Département de Langue et Littérature françaises 
Université de Balamand

Tobie NATHAN
L'Évangile selon Youri
Éd. Stock, 2018 (280 p.)
Youri, dieu ou sorcier ?
L’Évangile selon Youri est un roman fort, qui nous emmène dans les rues de Paris, pour faire la connaissance d’un enfant rom et migrant âgé de dix ans, Youri, fruit des amours adolescentes d’un Juif et d’une Gitane. Le jeune tsigane n’a jamais connu son père. Sa mère Moïra meurt elle aussi, après l’avoir confié à Elie, un vieux psychologue qui consulte dans un centre d’ethnopsychiatrie à Paris – le narrateur. C’est un spécialiste en « étrangeté ». Leurs âmes s’attirent comme des aimants et entre ces deux personnes va se nouer une relation toute particulière.
Cependant, on ne tarde pas à découvrir que Youri n’est pas un enfant ordinaire : il a des pouvoirs surnaturels et semble être habité par un esprit hors du commun. Ainsi, il déjoue des attentats, sauve le Président de la république, déplace les tables à distances, fait exploser les pierres précieuses des colliers, guérit les malades les plus réfractaires d’un doigt posé sur leur plaie et se fait des disciples.
Mais la présence d’un lexique qui est en rapport avec les diables et la sorcellerie, les passages décrits avec « les mains dans le corps », l’appel des ancêtres, tout cela fait de Youri un sorcier s’incarnant dans des événements fantastiques et non pas un dieu qui s’oppose aux instructions de l’Évangile. Cette idée est renforcée par ses préférences sexuelles qui paraissent clairement tout au long de l’œuvre : « le soyeux de ses seins qui s’offraient à mes yeux, à mes mains », « appel de sa chair », « tête posée sur la tiédeur de ses seins », « corps nu ».
Quant aux nombreux personnages secondaires, ils apparaissent dans l’histoire sans avoir un rôle fondamental : le fripier prénommé Samuel tenant boutique boulevard Argo, le poète qui habite le quartier Mouffetard, toujours prodigue en jolis vers, jamais avare d’une récitation, le professeur riche en belles leçons avec ses problèmes cardiaques, Sabrina et sa famille déracinée, l’étrange Avril qui communique par la pensée avec Youri. Mais tous s’effacent devant le profil du personnage principal, Youri.
Bref, ce roman est un livre d’histoire où le romancier a enregistré d’une façon indélébile tous les événements qui ont perturbé la vie sociale et politique de la France ces dernières années. Marqué par un titre hiératique, il illustre la vie sociale et politique, prend acte de l’effondrement du système de sécurité et de la recrudescence des activités des groupes terroristes qui dominent à cette époque, en donnant naissance à un nouveau dieu, sortant de ses entrailles.
L’auteur fait revivre le drame resté gravé dans la mémoire des gens à travers le monde en parlant, par exemple, du slogan : « Je suis Charlie » ou du détournement d’un autobus par un terroriste islamiste.
Mais l’intention de Tobie Nathan est beaucoup plus profonde. Elle consiste à demander avec force de défendre la liberté de la presse et de ne pas condamner tous les Musulmans. Il semble, d’ailleurs, que Tobie Nathan parle de lui-même et de sa spécialité. Ainsi, étant ethnopsychiatre, il est celui qui écoute les autres dans une période où les gens ne s’entendent pas. En déterminant la cause des troubles des patients qui se trouvent soulagés et apaisés après les consultations, il entre dans les mots en les interprétant comme des témoignages sur sa vie et son époque.
Néanmoins, ce dieu dont il a parlé, où est-il ? Dans quelle religion se trouve-t-il ? Dans quel livre faut-il le prier ? Et réussira-t-il à guérir cette époque de sa grave maladie ?
Najah MATAR
Département de Langue et de Littérature françaises
Université de Balamand
   
 Thomas B. REVERDY
L’hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (224 p.)
Un empire sur le déclin
Parmi les neuf romans de Thomas B. Reverdy, dont La Montée des eaux, Le Ciel pour mémoire, Les Derniers feux, L’envers du monde et Il était une ville, l’Hiver du mécontentement, paru le 22 août 2018, constitue l’un des livres les plus intéressants à lire.
En effet, c'est dans un récit alternant la première et la troisième personne que T. Reverdy a réussi à nous transporter dans l'époque tumultueuse d’un « pays en crise, d’un empire sur le déclin » (p. 29), paralysé par des grèves monstrueuses qui menacent les secteurs privés et publics. D'emblée, comme une caméra qui enregistre tout, le narrateur-historien nous met en scène une jeune fille de vingt ans, qui ne tarde pas à devenir le personnage principal du récit, participant parfois même à la narration. C'est à elle seule que Thomas B. Reverdy consacre quatre pages pour nous permettre de la connaitre de près (pages 61- 64), nous dressant le portrait d'une fille qui se met en quête d’une solution à apporter à une personne énigmatique, celle d'un personnage shakespearien assez mystérieux et complexe.
Quant au cadre spatio-temporel dans lequel se déroule l'histoire, il est assez précis et réel. Toute l'action se passe à Londres, à la fin de l'été 1978. C'est alors l’« entrée dans l'hiver de mécontentement », une saison qui annonce l'agonie de la nature, et avec elle, l'entrée au cœur d'un empire agonisant, d'une « petite ville qui n'a plus la force de rien », accablée par les crises politiques et économiques à grande échelle, prévoyant ainsi la fin d'un régime qui sonne le glas. Cette situation se trouve aggravée davantage par l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, une personnalité en chair et en os, mais présentée par l’auteur comme diabolique et sans pitié, élue tout de même pour redresser la situation économique désastreuse de l'Angleterre, cet empire malade, voire infirme.
Le livre relate alors, au jour le jour, cette histoire tumultueuse mise en scène par un auteur talentueux  qui, par son habileté de romancier, et en adoptant un style à la fois serré et fluide, a bel et bien réussi à nous faire vivre l'histoire dans tous ses détails, grâce à un récit ample et souple, au rythme parfois interrompu par des descriptions minutieuses de la situation anarchique à laquelle est réduite la Grande Bretagne en plein déclin, ce qui crée une impression de mécontentement général, durant une saison obscure et pluviale, que le narrateur se délecte à décrire. C'est notamment le paysage des "rues de plus en plus sombres du centre-ville, (d') une forêt de parapluies (qui) se lève et s'épanouit au rythme des averses [...] La pluie tombe droit. Elle ruisselle sur les façades noircies" (p. 31) qui nous touche et fascine le plus.  
Or, cette atmosphère suffocante et noircie se trouve teintée "d'une mélodie guidée par les improvisations du destin " (p. 116), marquant l’irruption dans le récit d'une note lyrique rythmée par la musique. D'ailleurs, "les exergues de chapitres sont tous des titres de chansons tirées de ces albums" (p.218). Aussi, des titres, intentionnellement laissés en anglais, retiennent notre attention, et reprennent en écho celui du roman, ce qui accentue l'ambiance tragique dans laquelle baigne le récit, dont on peut citer, à titre illustratif, "I don’t Know What to Do with My Life", "Revolution", "Disorder", "Car Trouble ", "Anarchy in the UK", "A different Kind of Tension", "No Birds", etc. Le roman se clôt d'ailleurs par une expression-clé, qui revient en leitmotiv, et occupe des lieux stratégiques dans le récit : « l'hiver du mécontentement », une expression apparue d'abord dans le titre, puis à la page 100 (presqu'au milieu du roman), pour clôturer le livre, mais cette fois à valeur collective, impliquant l'auteur, le narrateur, les personnages et les lecteurs même, avec ce « voici venir l'hiver de notre mécontentement ». Comme s'il s'agissait d'une impression contagieuse et collective, comme le montre d'ailleurs le passage de « du mécontentement » à « notre mécontentement » (p. 215) 
Ainsi, par les événements réels et actuels qu'il traite et qui nous touchent de près, par sa technique narrative particulière, par sa dimension politique, économique et psychologique, scellé d'un cachet à portée universelle, L'hiver du mécontentement mérite bien d'être sélectionné parmi les ouvrages du Choix Goncourt de l’Orient 2018.
           Ramia Hassan Sleiman EL-ALI 
   Département de Langue et Littérature françaises
                                    Université de Balamand
Paul GREVEILLAC
Maîtres et esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
DON ET DESTIN
C’est avec un grand plaisir qu’on se laisse emporter par ce voyage au cœur de la Chine des années 1950 à 1980, à l’intérieur d’une région rurale, fabuleuse par sa nature, appelée Sichuan, où Paul Greveillac raconte, sur trois générations, l’histoire de la famille Tian dont le fils Kewei est le personnage principal.
Fils d’un paysan, Kewei sait que son avenir en tant que travailleur agricole est tracé, mais il n’arrive pas, malgré la réprobation de sa mère, à cacher son amour pour le dessin. Son père, peintre lui-même, l’initie au dessin et Kewei ne tarde pas à se consacrer passionnément à cette activité.
Cependant, on voit se développer, dans le pays, la révolution chinoise et la famille se trouve contrainte à vivre tous les épisodes de la collectivisation des terres. Arrive ensuite la Révolution culturelle avec son fardeau de misère et de pression. Les gardes-rouges vont faire régner la terreur et, malheureusement, le père sera assassiné.
Par une sorte de miracle, l’un des gardes-rouges prend sous sa protection le jeune Kewei, l’emmène à Pékin et c’est là où commence, à l’école des Beaux-arts, un véritable apprentissage de la peinture qui aide le héros à devenir un peintre officiel au service de la propagande. Il pratique alors un art assez réaliste qui met en avant les réalisations de ce régime où on fait des portraits de Mao.
Toutefois, son enfant, après lui, prend le contre-pied de son père et commence à dessiner des sujets contestataires. Naturellement, Kewei verra cela d’un très mauvais œil. Cependant, il ne tarde pas à changer d’avis surtout quand il découvre que grâce aux changements dans les hiérarchies du régime, ces contestataires se trouvent valorisés et se voient octroyer le droit d’exposer au Musée national. Par la suite, son fils participe aux évènements de 1989 où il est tué par l’armée. Kewei sombre alors dans le désespoir. Devenu vieux, il finit sa vie en peignant des figurines dans une usine chinoise.
Destin tragique, parcours mouvementé, Kewei nous tient en haleine avec lui, tout le long du roman et nous fait suivre le cours de sa vie pour découvrir à quoi va aboutir sa lutte existentielle.
Néanmoins, ce qui rend la lecture de ce livre plus riche, c’est qu’on y est emmené à explorer l’histoire de la Chine. En effet, sans délaisser l’intrigue et le personnage de Kewei, Paul Greveillac retrace dans ce roman l’Histoire de la Chine des années 1950 jusqu’à nos jours et nous fait découvrir le prix humain qu’a dû payer le peuple chinois pour passer de l’état de misère à un état de prospérité relative.
Avec un style particulièrement travaillé, presque poétique, l’écrivain a tissé son intrigue de façon très fluide et, sans négliger la forme, il nous a emportés dans cette belle histoire en la faisant évoluer au sein de la grande Histoire de la Chine. On remarque, d’ailleurs, en lisant, qu’il s’est informé, avec précision, sur le contexte culturel de ce pays, sur les évènements marquants de sa politique et sur le parcours des peintres chinois, pour nous les transmettre aussi fidèlement que possible. Cette merveilleuse façon de mêler la petite histoire à la grande Histoire nous a permis de sentir, à la fois, le plaisir d’apprendre et de se divertir.
Par ailleurs, en terminant la lecture, on comprend mieux le choix du titre. En effet, ce titre n’est pas à prendre dans un sens propre et statique : il ne s’agit pas tant de maîtres qui asservissent des esclaves dans l’histoire que de traditions qui ligotent l’être et des idéologies qui rendent difficile la création artistique de façon à transformer l’artiste en esclave de son environnement et des détours de la politique.
Par contre, on ne peut qu’admirer cette ascension dans le parcours du héros tout le long de sa vie. Le fait de défier son origine, sa famille, ses traditions, sa classe sociale défavorisée au début de l’histoire, tout cela fournit la preuve que, tout homme, armé de son courage et de sa détermination, peut évoluer et atteindre son but. Kewei semble incarner, donc, un véritable exemple pour ceux qui veulent poursuivre et réaliser leur rêve à tout prix.
Enfin, Maîtres et esclaves de Paul Greveillac offre un moment de lecture particulier et intéressant. C’est par excellence un roman historique, riche, foisonnant et réaliste. Sans doute, ce chef-d’œuvre fera parler de lui. Il mérite de figurer, cette année, sur la liste des œuvres du choix Goncourt de l’Orient.
Guilda DEMIANE
Département de Langue et de Littérature françaises
                                                                                                                          Université de Balamand
Thomas B. REVERDY
L’hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (220 p.)
Le pouvoir des dames
            Nous ne sommes pas à notre premier voyage outre-mer avec l’auteur français Thomas B. Reverdy. En effet, celui-ci nous a déjà emportés vers le Japon dans Les évaporés, aux États-Unis dans Il était une ville, mais cette fois il a choisi l’Angleterre comme toile de fond pour écrire son roman L’hiver du mécontentement. Les péripéties de cette œuvre parue chez Flammarion en août 2018 se déroulent durant les années 1978-79.
Reverdy y peint une Angleterre en pleine crise politique et économique, décrivant l’ascension au pouvoir de la future dame de fer Margaret Thatcher qui n’hésite devant rien pour éloigner ses rivaux tant sa soif de pouvoir est impérieuse.
            Le roman est dominé par une musique révolutionnaire dite Punk, une sorte de musique agressive qui se veut briseuse de prototypes, de lois et de traditions. D’ailleurs, tous les chapitres du livre portent des titres de musique Punk. À travers elle, les jeunes crient leur désenchantement dans une société qui les déçoit et ne répond ni à leur attente, ni à leur vision : No future (p. 144).
            Parallèlement à la grande Histoire, Reverdy cherche à nous impliquer dans la petite histoire de son héroïne. Candice dont le nom diffère à une consonne près de l’adjectif candide et du personnage célèbre de Voltaire, joint à la simplicité de sa condition (livreur de courrier et de colis) une vision des choses de la vie bien spécifique : « elle venait d’avoir vingt ans […] un âge où la vie ne s’est pas encore réalisée. Où tout n’est encore que promesses – ou menaces » (p. 10).
Des problèmes, elle en a un certain nombre, auxquels elle fait face avec son tempérament irlandais décelable à la couleur rousse de sa chevelure. L’hiver glacial de Londres n’a en effet pas pu éteindre son tempérament de feu. Juchée sur son vélo, elle sillonne les rues de Londres et observe les rues de la ville jonchées de détritus.
La grève bat son plein et atteint son apogée quand des croque-morts et des ouvriers au chômage entravent la circulation à l’aide de cercueils vides placés en travers des boulevards. « C’est cela qui choque, à la une du Sun, des cercueils dans la rue empilés de traviole, comme une profanation. Lorsqu’on voit l’image, on ne comprend pas tout de suite qu’il peut s’agir d’une grève. La première chose qui vient à l’esprit, c’est : Où sont les corps ? Et puis : Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui a fait autant de morts ? » (P. 150).
Candice lutte avec ses propres complexes : complexe de Caïn, complexe d’Œdipe… Ses complexes, elle les gère grâce au théâtre, elle qui fait partie d’une compagnie semi-professionnelle composée uniquement de filles – Les Shakespearette – où elle joue le rôle de Richard III. Ce roi difforme et sanguinaire prêt à tout pour accéder au trône, avait assassiné ses propres neveux afin d’écarter tout rival. Ce rôle d’homme joué par une femme étonne l’illustre dame de fer, Margaret Thatcher que Candice rencontre au théâtre un soir d’entraînement. « Elle a redit qu’elle trouvait intéressant de faire jouer le rôle par une femme, que dans ce pays, grâce à la reine, on pouvait imaginer ce genre de chose, et ça m’a semblé bizarre qu’on justifie ainsi le moderne par l’ancien, l’audace par la tradition, mais c’est sans doute sa manière de penser à elle. » (P. 147).
La raison de la présence de Thatcher au théâtre, ce sont les cours de diction qui lui permettent à long terme de « gommer son accent pointu de fille d’épicier » (P. 146).
 Candice est étonnée que son amie et chef de troupe, Nancy, s’empresse ainsi auprès des gens célèbres comme si l’on cherchait à ramasser autour d’eux « des miettes » de notoriété et de prestige.
            Malgré sa neutralité, elle finit par distribuer des dépliants en faveur de la grève avec ses coéquipiers de travail dans les rues de Londres. Comme cette initiative a été prise à l’insu de Ned, leur directeur, elle en paiera le prix…
            L’odeur incommode des ordures, la vision dégoutante des rats, la grève illimitée n’ont cependant pas réussi à provoquer le grand bouleversement. Les représentants du pouvoir politique changent de tête et de nom, jouent leur rôle de gouverneurs, sans apporter de vrais changements à une situation sans issue.
Candice avec sa candeur ressemble au perce-neige qui attend le début du printemps pour émerger enfin, plus sûre, plus belle. Comme le vilain petit canard se transforme peu à peu en un beau cygne, la jeune fille se métamorphose, grandit en sagesse et communique au lecteur sa propre vision des choses : « Richard III c’est quand le pouvoir le plus absolu ne provient pas de l’ordre, mais du chaos le plus total. » (P. 172)
Elle rencontrera l’amour dans les yeux d’un certain Jones, pianiste à ses heures au club Nightingale.
            À l’aide d’un style simple et subtil, empreint d’humour et d’ironie, Thomas B. Reverdy nous communique un message édifiant sur la politique d’une époque, sur les droits civils des citoyens et sur le rôle de la femme dans un monde en perpétuel mouvement. « Il n’y a qu’à regarder des enfants. L’amour, les romans, la tragédie, la vie c’est pour les filles. Les garçons, ils jouent. » (P. 188) La composition mêle avec doigté la musique agressive Punk à l’art classique de la tragédie et conçoit un personnage dont la fraîcheur printanière atténue et défie cet hiver londonien intempestif.
                                                                                  Emmy FRICKE
Département de Langue et Littérature françaises
                                                                                                            Université Libanaise, section II  
 David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (175 p.)
Voyage au bout des pensées
Frère d’âme est un roman de David Diop, auteur de 1889, L’Attraction Universelle[1] et maître de conférences à l’Université de Pau. Attaché au pays où il a été élevé, le Sénégal, l’auteur envisage, à travers son livre, de « créer, peut-être, une fiction qui retracerait les émotions des combattants à un niveau émotionnel identique à celui qu’[il] aurai[t] éprouvé en lisant les lettres des tirailleurs sénégalais »[2] de la Première guerre mondiale. Pour aborder le titre, on observera que la locution nominale « Frère d’arme » varie en « Frère d’âme », expliquant toute la charge émotionnelle du roman et trouvant sa consécration à la fin de ce dernier.
L’intrigue, exposée suivant une anachronie narrative, reflète l’âme troublée du personnage principal : Alfa. Alfa est fortement remué par la mort de son ami, son « plus que frère », Mademba. De plus, le dilemme qu’il vit lorsque son ami le supplie de l’achever et son absence de réaction face aux trois demandes consécutives de celui-ci alors qu’il agonise, donneront lieu à des séquelles psychiques. Il tentera donc d’expier sa faute à l’égard de Mademba en martyrisant d’une manière impitoyable ses « ennemis aux yeux bleus » et en les égorgeant pour abréger leurs souffrances « au nom de l’humanité ». À la fin du rituel, il coupe la main de sa victime et la rapporte comme un trophée à la tranchée. Le capitaine juge alors qu’il serait plus judicieux d’envoyer Alfa se reposer à l’arrière du front.
Dans ce psycho-récit, le lecteur est placé au cœur de la pensée d’Alfa qui commence à réaliser la portée de certaines questions humaines. Ainsi, des réflexions sur la famille, Dieu et les punitions qu’il inflige aux hommes, la mort, la folie en temps de guerre … ponctuent le texte. D’un point de vue stratégique, et suite à sa prise de conscience, Alfa déduit que les soldats africains forment l’objet de convoitise des Français, dans la mesure où ils servent les intérêts du pays colonisateur. À partir de ses réflexions, il examine la double dimension des faits, des choses et cette dualité se révèle être le thème majeur du roman.
Les souvenirs d’Alfa constituent un facteur important qui agence ce récit de pensées. Ils en suspendent le temps en éclairant certains faits antérieurs et les traits des personnages. Certains événements évoquent fortement des réminiscences : à titre d’exemple, le regard que porte sur lui la fille du Dr François, une fois qu’il est envoyé à l’arrière, lui rappelle le regard de son amante Fary Thiam et le pousse à culpabiliser en ressentant sa virilité face à la faiblesse physique de Mademba. Plus encore, les dessins qu’il réalise, à la demande du Dr François, illustrent des personnages qui ont imprégné son inconscient. Ainsi, l’histoire de la maman d’Alfa et sa séparation de son fils, ne le laisseront pas indemne. D’ailleurs, l’isotopie de la maternité, fortement et subtilement investie dans le texte, souligne le vide qu’a laissé la mère dans la vie de son fils. Cette carence affective ne sera partiellement compensée que par son amitié avec Mademba, figure illustrée par le deuxième dessin, qui a accueilli Alfa chez lui et a demandé à sa maman de l’adopter.
Le cadre spatial dans ce roman est multiple. Premièrement, Diop met l’accent sur les conditions de vie des soldats au front français : il relate leur quotidien, expose certaines règles qui le régissent, souligne leur manque de confort dans la tranchée. Deuxièmement, il dévoile l’ambiance à l’arrière du front qui semble comme un hôpital psychiatrique avec ses ailes et ses chambres. Enfin, il peint la société sénégalaise du début du XXe siècle et plus précisément Gandiol, le village natal des deux tirailleurs. David Diop met en scène des personnages hauts en couleurs. Par leur intermédiaire, il véhicule une série de valeurs et de traditions, en particulier l’hospitalité, la bienveillance et la gratitude.
Il serait impératif de noter également la présence tenace des mythes et légendes dans le village d’Alfa. Effectivement, les gens du village ont peur de s’aventurer la nuit dans la forêt longeant le lac à cause de la déesse des eaux, Mame Coumba Bang. Cette ténacité est d’autant plus prouvée par le totémisme et sa suprématie sur la constitution et la qualification des gens : à chaque famille correspond un totem qui est censé refléter les membres. À partir de cette affirmation, Alfa se moque du totem de Mademba et c’est cette moquerie qui conduira Mademba à se précipiter dans la gueule du loup. Le lion, qui est le totem d’Alfa, sera évoqué ultérieurement dans l’histoire populaire du sorcier-lion. Par extension, le titre de l’histoire présente la fusion du totem d’Alfa, le lion, et celui du « sorcier », étiquette attribuée à Alfa dans la tranchée quand il a rapporté la quatrième main.
Par ailleurs, grâce à la plume de l’écrivain, le roman présente des qualités esthétiques certaines. Diop esquisse habilement ses personnages, comme si, à travers ses mots, il cherchait à leur donner vie, à combler son souci de vraisemblance. Il manie les sensations et les sentiments avec souplesse au cœur de ses descriptions : il communique au lecteur l’ataraxie qu’éprouve Alfa quand il fait l’amour avec Fary, et la consternation de voir Alfa s’en prendre à ses victimes. Le texte est scandé par de nombreuses figures de style, notamment les anaphores et les énumérations, et plus particulièrement les oxymores et d’autres figures d’opposition qu’il utilise avec dextérité.
De plus, l’auteur laisse sous-entendre dans son écriture sa réaction aux commentaires antiracistes : « La nuit, tous les sangs sont noirs »[3], ce qui témoigne davantage de son attachement au Sénégal.
À la fois récit d’actions, de souvenirs et de réflexions, Frère d’âme se révèle comme un parcours initiatique qui débouche à la fois sur le délire et la sagesse. David Diop, dans son roman, est arrivé remarquablement à atteindre son but qui est de relater la vie des combattants dans les tranchées dans une guerre qui n’est pas la leur, pour un pays qui n’est pas le leur. Son talent se révèle amplement dans cette écriture qui présente une image claire et captivante du pays de son enfance.
Joanne RIZK
Département de Langue et Littérature Françaises
Université Libanaise, section II



[1] Publié en 2012 aux Éditions l’Harmattan.
[2] David Diop reçu en Invité Culture à la RFI, Les Voix du Monde, le 14 septembre 2018.
[3] DIOP David, Frère d’âme, Paris, Seuil, 2018, page 32.    
 
François VALLEJO
Hôtel Waldheim
Éd. Viviane Hamy, 2018 (288 p.)
Espion malgré lui
Hôtel Waldheim est certes un roman d’aventures et d’espionnage mais la chronique historique y a aussi son importance. Rédigé par un écrivain contemporain, François Vallejo, le récit agence les séquences narratives avec subtilité. Cette œuvre patiemment élaborée est publiée par la maison d’édition Viviane Hamy. L’auteur, dès l’incipit, captive son lecteur et fait naître en lui un sentiment d’attente angoissée. Une carte postale, « survivance des moyens les plus archaïques », va entraîner des réminiscences concernant un gentil adolescent, Jeff Valdera. Ces réminiscences se rapportent aux années 1970 et la carte postale dont l’expéditeur est d’abord anonyme va bouleverser la vie de Valdera et déterminer son avenir. Dans quelle mesure peut-il faire revivre ce passé ? Comment, malgré le nombre d’années écoulées, la mémoire peut-elle restituer les évènements afin de répondre à l’expéditeur de la carte ?
L’enquête, d’abord menée par une personne anonyme, use de l’effet de surprise pour impliquer le lecteur et le pousser à découvrir l’identité de l’expéditeur. Valdera, désemparé et curieux, finit par découvrir grâce à divers signes que le lieu à partir duquel cette carte a été envoyée n’est autre que l’hôtel Waldheim, situé à Davos en Suisse. C’est là qu’il avait séjourné en compagnie de sa tante à l’âge de 16 ans au temps de la guerre froide et des affrontements entre l’Est et l’Ouest. Sa soif de savoir, insatiable depuis l’adolescence, devient lancinante, impérieuse et le conduit à partir à la découverte de l’identité de son correspondant.  Il s’agit de Frieda Steigle, qu’il n’a pas eu l’occasion de connaitre auparavant. Elle lui envoyait régulièrement des cartes postales en vue de lui rappeler « quelque chose ». Et pour répondre à son attente, il doit solliciter sa mémoire. Frieda la blonde mène en fait une enquête sur la disparition de son père, Friedrich Steigle. Ce professeur d’histoire avait fui de la RDA en RFA à l’instar de plusieurs historiens et géographes allemands assoiffés de liberté et séduits par le capitalisme. Le personnage de l’adolescent Jeff Valdera est alors évoqué avec insistance et la narration déploie ses préoccupations de jadis, comme les jeux de go et d’échecs, rappelant ses fantasmes, ses désirs, et insistant sur son besoin atavique de savoir. Les souvenirs reviennent alors, ramenant à sa mémoire les relations amicales entretenues jadis avec Herr Johan Meili, le patron de l’hôtel et surtout avec un certain professeur d’histoire. Une autre cliente de l’hôtel, Frau Finkel, lui revient également en mémoire. Passionnée de littérature, elle ne cachait point son engouement pour l’illustre Thomas Man, auteur de La montagne magique. L’évocation de ce roman dans le récit est significative. Jeff Valdera, à l’instar du héros Hans Castrop, se rend compte qu’il côtoyait dans cet hôtel des individus masqués dissimulant chacun sa véritable identité sous un rideau de bienveillance et de courtoisie. Une atmosphère tendue d’espionnage et de méfiance régnait en fait dans cet hôtel, alimentée surtout par la présence suspecte du couple Linek. Rober et Brigitte Linek étaient en fait des agents de la Stasi. Or Frieda veut obtenir de Jeff des renseignements sur cette disparition, dont les causes et les modalités restent énigmatiques. Et elle avait besoin de recourir à une autre mémoire pour reconstituer les faits.
L’anachronie dans ce roman sert à informer le lecteur ; les analepses éclairent le déroulement des faits dans le passé et contribuent à déployer différents points de vue. La confrontation de la mémoire de Jeff à celle de la Stasi reproduit les moindres détails du séjour des clients de l’hôtel, ce qui rend certains passages lourds et ennuyeux. Mais le style de Vallejo est dense et raffiné : il a ce pouvoir d’atténuer les longs passages descriptifs par un effet de surprise soutenu tout le long de l’intrigue. Chaque information fournie par la Stasi entraîne un malaise chez le personnage, qui prend conscience qu’il n’était qu’un « voyeur de plus en plus aveugle » et qu’il était manipulé à son insu. La complexité de la trame narrative oblige souvent le lecteur à des retours en arrière afin de lier les séquences, de comprendre davantage les coulisses de cette guerre froide entre l’Est et l’Occident : « l’affrontement des deux Allemagnes qui connote la séparation des familles, la fuite des gens et surtout des historiens et des géographes. Non seulement l’espionnage, mais aussi la manipulation des gens sans qu’ils le sachent ».
Les amateurs de récits historiques et de romans d’espionnage trouveront aisément dans Hôtel Waldheim les péripéties qui répondent à leur attente.
Andrea MOUNZER
Département de Langue et de Littérature françaises
Université Libanaise, section II
François VALLEJO
Hôtel Waldheim
Éd. Viviane Hamy, 2018 (288 p.)
Espion… ou simple voyeur ?
Comme c’est une histoire à suspense, je ne compte pas livrer tous les secrets du roman de François Vallejo, qui a mis en éveil ma curiosité, et je laisserai donc aux lecteurs le plaisir de découvrir la fin du récit de Jeff Valdera, quinquagénaire habitant à Sainte-Adresse, dont la vie a été bouleversée après la réception d’une carte postale.
Car en effet, par un beau jour, Valdera reçoit une carte postale, un peu jaunie, à expéditeur inconnu et ne comportant même pas de signature. Une seule phrase y était écrite dans un français plutôt relâché : « Ça vous rappel queqchose ? »
Or, cette carte postale, qui avait été postée en Suisse, représente des vues d’un hôtel (l’hôtel Waldheim) où il avait séjourné quand il était adolescent, dans les années 1970, en compagnie de sa tante célibataire Judith.
Suite à la réception de cette étrange carte, le narrateur Jeff Valdera réussit à faire resurgir, depuis un passé révolu, quelques souvenirs : il revoit le patron de l’hôtel, Herr Meili, le personnel oublié, sauf Rosa la gouvernante toujours en service malgré son âge, des clients, des couples, des familles en vacances.
Mais voilà que le mystérieux correspondant finit par se dévoiler. Frieda Steigl, fille d’un ancien transfuge de la RDA, lui donne en effet rendez-vous près de Sainte-Adresse et lui demande de se rafraîchir la mémoire en ce qui concerne son séjour en Suisse durant l’adolescence.
En fait, elle l’accuse d’avoir aidé les espions de la Stasi et d’avoir provoqué l’arrestation de son père. Frieda a pu retrouver les traces d’une partie de son histoire familiale grâce aux archives de la police de la RDA mises à disposition de certaines personnes. Mais pour Valdera, l’été à l’hôtel Waldheim était lié à des jeux d’échecs, des jeux de go, des promenades en plein air, la découverte de l’écriture de Thomas Mann, ainsi que l’éveil à la sensualité, en particulier grâce à la scène à laquelle il a eu droit au cours de son voyage en Suisse.
Enfin, il convient de reconnaître finalement que si Jeff Valdera espionnait, ce n’était que pour son propre compte et non pour fournir des informations au patron de l’hôtel Waldheim.
La lecture du roman est fortement conseillée, surtout pour les amateurs de suspense.
Darine KLAIMI
Département de Langue et de Littérature françaises
Université de Balamand

Tobie NATHAN
L'Évangile selon Youri
Éd. Stock, 2018 (280 p.)
L'Éclaireur en temps de ténèbres...
Dans ce roman, deux personnages importants participent à l’intrigue. Le premier, Élie, est un vieux psy fatigué, à la retraite et qui mène une vie autonome. Il dirigeait auparavant le centre d'ethnopsychiatrie à Paris, et ce durant une longue période. Dans ce centre, il prenait en charge des patients surnaturels ayant des pouvoirs merveilleux, qui entendent des voix, voient des choses que les autres ne voient pas, parlent avec les morts et ont des prémonitions. Le deuxième personnage est un enfant âgé de dix ans, Youri, un migrant sans papier et sans famille. Il décide que c'est Élie qui doit le protéger et s'occuper de lui. Entre les deux, une relation particulière s'établit. Puis on découvre que c'est en fait le migrant qui s'occupe du psy, parce qu'il a des pouvoirs merveilleux et fait des choses extraordinaires. Par exemple, Youri est capable de faire bouger les choses, de fracasser des objets du regard, de faire surgir des patients d'un doigt et revivre les morts.
À mon avis, ce roman mérite d'être découvert et on le lâche difficilement. À travers lui, j’entre dans le monde invisible où se mêlent divinités, sorciers et magiciennes, croyances slaves et psychiatrie. De plus, je crois que nous vivons dans un monde sombre et ténébreux où les gens sont insensibles, indifférents, confrontés à l’inhumanité et à la faiblesse. D’où la fonction de l'Éclaireur, qui diffuse sa lumière sur les chemins et au cœur des gens. Peut-être l'Éclaireur est-il un petit dieu qui redonne du sens à la vie des hommes et des femmes, messie d'un monde qui ne croit plus ou encore sauveur d'une société désabusée et qui a perdu son humanité.
L'écrivain a utilisé des expressions fortes, liées à l'amour, comme : « l'amour déplace la lune et les étoiles dans les ciels de vos nuits », ou encore « l'amour est un guide touristique qui jette une lumière sur chaque pierre, sur chaque visage, chaque événement ». Le style du roman est simple, profond et enthousiaste, pour expliquer que chaque individu possède des pouvoirs extraordinaires qui le rendent heureux (ou heureuse) et qui peut bouleverser son monde d'une façon amusante et active. Enfin comme Samuel a dit « Nous faisons le monde, il en a bien besoin ».
Nidal Mohamed JAMAL
Département de Français
Université de Khartoum
David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (175 p.)
Dans les plaies béantes de la terre qu'on appelle les tranchées
David Diop, l’un des écrivains franco-africains les plus prometteurs, est connu pour sa contribution au mouvement littéraire ‘Négritude’. Son travail reflète son attitude anticoloniale et son espoir d'une Afrique indépendante, et ce roman n’y fait pas exception.
« Je sais. J'ai compris. Je n'aurais pas dû » : une chanson répétitive, mais obsédante qui vous accompagnera tout au long de la merveilleuse narration de David Diop de la vie tragique d'Alfa Ndiaye, le héros-devenu-vilain de sa propre histoire.
Dans ce roman, nous sommes exposés au conflit intérieur d'Alfa ; une déchirure et un tiraillement sans fin provoqués par la guerre. Bien que le roman ait lieu pendant la Première guerre mondiale, la pire bataille qu’Alfa a menée était entre ce qu'il pensait, ce qu'il voulait et ce qu'il défendait. Après avoir perdu, son « plus que frère », son « frère d’âme » Mademba Diop, exécuté par l'ennemi aux yeux bleus, Alfa a beaucoup de mal à préserver sa santé mentale et cède alors à la sauvagerie et à la vengeance.
Il est passé de l’état de héros qui ne craint rien pendant les batailles, coupant la main de ses ennemis, les mutilant et les laissant avec leurs « Dedans dehors », à celui de sorcier qui dévore les âmes aux yeux de ses camarades.
À mon avis, David Diop a réussi à nous montrer la complexité du personnage d'Alfa : ses luttes afin de préserver son innocence métaphoriquement dissimulée dans les mentions de sa patrie, de sa future-épouse, et de sa famille et la solitude qu'il a traversé jusqu’à se déshumaniser et devenir un sauvage à cause de la guerre.
Le style narratif de David Diop et sa façon de raconter une histoire humainement captivante, vous maintient accroché jusqu'à la fin de l’histoire d'Alfa. « Frère d’âme » est un roman remarquable, caractérisé par une élégance de concision qui ne pourra pas vous laisser indifférent.

Lamia ALSALEH
Département de Français
Université Princess Nourah bint Abdulrahman

Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Minuit, 2018 (192 p.)
Saisissante immersion en terrain charnel
Ça raconte Sarah. C’est le cœur qui impose ses cadences effrénées de machine en vie. C’est aussi la précarité de l’être mis à genoux, assujetti aux bourrasques de la passion.
Un seul regard suffit. La narratrice nous fait plonger avec elle dans les yeux de Sarah, « ses yeux absinthe, malachite, vert-gris rabattu, ses yeux de serpent aux paupières tombantes ». Au rythme des saisons, la jeune auteure nous invite avec talent dans son premier roman, au cœur d’une relation foudroyante. Sarah vous frappe par son aisance et sa nonchalance. Sarah est belle parce qu’elle a le visage de la liberté. On finit par s’habituer, à la désirer Sarah. Jusqu’à ce qu’elle nous fasse tomber.
Ça raconte Sarah, c’est l’histoire de Sarah, violoniste nomade de 35 ans, se faufilant dans l’existence d’une jeune mère, professeure de lycée engluée dans la routine accablante du train-train parisien. Le premier mouvement nous exhorte à la contemplation de la chair vive des corps qui se découvrent, à l’essence primitive et hormonale de l’ivresse sentimentale. Progressivement, la différence entre le vent et l’ouragan s’efface, neutralisée par les cieux étoilés de la passion. Pourtant, quand l’un vous caresse le visage de manière uniforme, l’autre mêle des vents contradictoires dans une violence qui ne laisse rien subsister. Au premier épisode charnel succède ensuite l’expérience de l’introspection. Livrée à elle-même, la narratrice se plie aux affres de la névrose, aliénation suprême du cœur et de l’esprit. Nul n’échappe à l’expérience de l’abandon, au vide abyssal qui succède à la plénitude.
Pauline Delabroy-Allard introduit aussi une nuance subtile et décisive. Choisir un amour homosexuel, c’est faire peser une atmosphère sensuelle d’interdit sur ses protagonistes, c’est confronter le lecteur à l’érotisme et à la douceur des corps féminins, à des images qui jouent avec les standards et les imaginaires. On peut se réjouir de la finesse du roman, car le poids de ce choix narratif n’ombrage pas le message de l’auteur. L’amour vous dépasse et vous démunit, il vous frappe comme la foudre sans que vous ayez votre mot à dire, sans que vous puissiez annoncer qui ou quand. En évitant l’instantanéité facile des luttes contemporaines, l’auteure nous rappelle modestement l’amour universel, sans sexe et sans visage. Ça raconte Sarah n’est pas un roman actuel ou moderne pendu à l’actualité, il est un roman intemporel. Il nous confronte à la beauté de l’être, à sa complexité et à sa liberté. C’est sans aucun doute ce qui le rend si particulier au sein d’une littérature romancée qu’on sait déjà prolifique.
L’auteure ne ménage pas le rythme, la cadence narrative et les parenthèses pour atteindre l’unité corporelle de son œuvre. Abandonnez-les guillemets et savourez une écriture parlée, un propos incarné. La fulgurance et la rapidité des retournements amoureux se logent dans des phrases courtes et sans détours. Un filet musical double la narration. Propulsés au cœur d’un amour harmonisé et accordé par la culture de Sarah, nous découvrons avec la narratrice l’univers de son amante. Touchant, le souci du détail. Mystérieuse, l’exhaustivité de la mémoire à laquelle nous poussent les relations amoureuses.
Libre à chacun de tomber amoureux de Sarah, mais gare à ceux qui se laisseront duper par sa liberté, par le masque accueillant de sa perversion.
Valentine BLIGUET
Département de Lettres françaises
Université Saint-Joseph, branche de Beyrouth

David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (175 p.)
                                                         Une vengeance terrible
David Diop est né à Paris en 1966 mais a été élevé au Sénégal. Il est maître de conférences habilité à diriger les recherches en littérature française du XVIIIème siècle à l’Université de Pau. Ses publications portent sur les représentations européennes de l’Afrique et des Africains au XVIIIème siècle. Ses thèmes de recherche sont aussi la littérature et le libertinage ainsi que les récits de voyage au XVIIIème siècle.
Alfa Nadiaye, le fils d’un vieil homme, a été entraîné malgré lui dans la guerre. Il a été tirailleur sénégalais parmi tous ceux qui se battaient sous le drapeau français contre l’ennemi allemand. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba Diop, son plus que frère, tombe, blessé à mort, sous les yeux de son ami. Alfa éprouve alors un chagrin écrasant. Il se perd dans les méandres de la folie de ce grand massacre, sa raison s’enfuit et il commence à perdre la tête. Il est alors confronté à une situation difficile, tiraillé entre la sauvagerie et l’humanité. Il refuse d’égorger son frère d’âme conformément aux lois de la fidélité et de l'amour. Mademba, demi-mort, est en train de hurler, de blasphémer, de souffrir et de supplier son ami de l'achever.  Cependant, Alfa reste sans réaction devant les supplications qui paraissent sans fin. Suite à la mort terrible de Mademba, Alfa est rongé par le sentiment du regret et il en est traumatisé. Il ne lui reste plus alors que la voie de la vengeance.
Le livre est dominé par un ton singulier, halluciné qui surpasse la langue de tous les jours, celle que nous utilisons dans les rapports quotidiens avec nos semblables.
L’œuvre est parsemée de thèmes satiriques, de phrases ironiques et de descriptions détaillées.
Avez-vous lu Frère d'âme ? Si oui, qu’en pensez-vous ?
Lojayna MOSTAFA
Département de Langue et de Littérature françaises
Université d'Alexandrie



David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (176 p.)
Frère d’âme
Cela se passe pendant la Première guerre mondiale. La France se bat contre l'Allemagne. Le capitaine siffle l'attaque. Mademba Diop, l’un des tirailleurs sénégalais de l'armée française, est le premier à s'élancer hardiment vers le champ de bataille. Il veut prouver à son ami d'enfance Alfa Ndiaye qu'il n'est pas un « fanfaron » dont le totem n'est qu'un « volatile orgueilleux ».
Blessé à mort après cet acte téméraire, il supplie Alfa de l'égorger pour mettre fin à ses souffrances mais le jeune soldat n'ose pas, parce que les lois humaines et la religion le lui interdisent, parce que seul Dieu a le droit d'ôter les âmes.
Et c'est quand Mademba a lâché son dernier souffle, abandonné à sa douleur atroce, qu’Alfa « a su », « a compris » que pour sauver la pureté de sa propre âme devant le ciel et obéir à la voix du devoir, il avait "au nom de l'humanité" tué son frère d'âme, son plus que frère, deux fois.
Retrouvé seul, livré à son chagrin, déchiré par les remords, Alfa sombre peu à peu dans la folie.  La morale et les croyances n'ont plus aucun pouvoir sur lui, la cruauté s'empare de sa raison. Pour expier sa faute, il veut se venger de « l'ennemi aux yeux bleus » et tel un « dëmm », dévorer les corps et les âmes.
Et c'est ainsi que le lecteur voyagera, tout au long de ce psycho-récit, dans les pensées tourmentées d'Alfa. Au cœur de la violence, le jeune homme nous chantera, comme dans un poème, son histoire, ses peines, ses regrets et la nostalgie de son enfance au Sénégal. Le texte devient à la fois un cantique de la folie, de la fraternité et de l'amour.
Tout est croisé et entremêlé… Tout est dualité… Entre le bien et le mal, la vie et la mort… Le décès de Mademba Diop devient la naissance d'Alfa Ndiaye… Leurs âmes se confondent...
Frère d'âme est un magnifique roman, touchant par son thème, bouleversant par son écriture et troublant par sa fin. Le talent de David Diop est admirable.

Cindy ABOU CHACRA
Département de Lettres Françaises
Université Saint-Joseph



Pauline DELABROY-ALLARD
Ça Raconte Sarah
Éd. Minuit, 2018 (189 p.)
Latence
Ça raconte Sarah est un premier roman envoyé par la poste, écrit dans l’urgence de tout coucher sur le papier, de la plume sensible de Pauline Delabroy-Allard, professeure documentaliste au lycée Michelet de Vanves. Un voyage en Italie lui aurait inspiré le récit de cette passion tourmentée. En effet, deux jeunes femmes, au fil des pages, se laissent lentement glisser dans la fièvre d’un amour dévorant. Le titre frappe par sa musicalité. La reprise de deux syllabes « Sa/ra conte Sa/ra » chuchote déjà à l’oreille du lecteur l’obsession amoureuse.
Deux parties scindent le livre en deux et s’opposent frontalement. Dans la première, une passion naissante dans les rues de Paris, et dans la deuxième, un déclin inévitable se déroulant en Italie, dans les recoins de Trieste. Le livre s’ouvre sur quelques pages singulières, intimes, brûlantes de désir et de souffrance à la fois. On discerne le tragique dès l’incipit qui a déjà écarté toute velléité de surprendre : le sommeil profond de Sarah, et la narratrice qui la regarde avec angoisse. Le « je » de cette narratrice demeure flou, anonyme, tout le long du récit. Aucun prénom, peu de descriptions la caractérisent. Rien qu’un fantôme de première personne qui disparait derrière la personnalité captivante de Sarah, dont on retient le portrait physique et moral par cœur : « Sa beauté mystérieuse, son nez cassant de doux rapace, ses yeux comme des cailloux, verts, mais non, pas verts, ses yeux d’une couleur insolite, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. » (p. 37)  Ainsi va l’obsession amoureuse : on se noie dans l’autre dans un rapport fusionnel. Puis c’est l’analepse, puisqu’on revient à la période qui précède leur rencontre, et commence alors la première partie du roman.
La narratrice, professeure de lycée, subit sa vie bien rangée dans les soupirs, sa petite fille accrochée à son bras. L’enfant a souffert, comme elle, de la perte d’un père irresponsable, qui les a quittées. Elle est en couple de nouveau, avec un homme qu’elle n’aime pas vraiment. Survient alors Sarah, « une tornade inattendue […] Elle fait trop de bruit. Il n’y avait rien, du silence, des rires affectés, des mines cérémonieuses et, d’un coup, il n’y a qu’elle. » (p. 18). Violoniste exaltée, un peu vulgaire sur les bords, parfois puérile, elle s’installe dans la vie de la jeune mère, se lie à elle d’amitié d’abord, pour ensuite par une nuit noire, lui avouer son amour. « Elle dit qu’elle va fumer une deuxième cigarette, pour fêter ça, son audace, son courage. L’allumette craque dans la nuit, l’odeur du soufre devient à jamais et pour toujours l’odeur de l’aveu qui soulage, l’odeur de la réalité inexprimable, enfin exprimée, l’odeur de la vérité dénudée, mise à terre, déposée devant moi comme un cadeau. » (p. 30). C’est le livre des opposés qui se côtoient. On se hisse au sommet du romantisme et de l’idéalisme, pour retomber au fond d’un érotisme rauque. On halète à tenter de soutenir le rythme des phrases courtes et saccadées qui se bousculent. Quatre-vingt-deux chapitres pour presque autant de pages…
Vers la fin de la première partie, Sarah fait face à des parents homophobes et leur avoue son orientation sexuelle. Ils la rejettent avec violence.
La deuxième partie du livre est plus noire, et traite de mort et de désillusion. C’est la chute libre après la montée fulgurante. Sarah « la vivante » devient Sarah « la morte ». On se fatigue à reprendre les mêmes leitmotivs, à revoir les mêmes mots revenir inlassablement : « Un cauchemar, toutes les vendeuses des boutiques de l’aéroport s’appellent Sarah. Il n’existe plus qu’un seul prénom pour les femmes, le sien. Je m’appelle sûrement Sarah aussi […] Les gens s’interpellent, et puisque toutes les femmes se prénomment Sarah, c’est un énorme bordel » (p. 112). On frise presque la folie, on ressent le manque intensément. Le style soutenu combat le familier dans une même phrase. C’est le livre des extrêmes.
Le roman captive et épuise à la fois par ses thèmes encore assez tabous dans notre société orientale, comme par son style unique en son genre et ses émotions fortes. Il intéressera très certainement, faute de pouvoir affirmer avec conviction qu’il plait. L’homosexualité est un sujet d’actualité, notamment en Orient, où la voix de la jeunesse homosexuelle commence à percer à travers les médias. Sujet autour duquel se partagent les opinions et se soulèvent les débats, il n’est pas seul dans le livre à choquer les potentiels lecteurs. Le thème de la passion amoureuse et cette relation si peu lucide que les protagonistes partagent semble s’écarter si résolument du chemin de la raison que beaucoup la verraient d’un mauvais œil. Cependant, le livre ne tire pas sa force de ses thèmes choquants, ni même de l’érotisme cru de certains passages, mais bel et bien du style lyrique, ardent, émouvant et troublant.
Une lecture intense, brûlante, presque oppressante, qui devrait s’accompagner d’avertissements : à ne pas lire d’une traite, s’arrêter de temps à autre afin de reprendre son souffle, éviter de réécouter en boucle l’octuor de Mendelssohn, le treizième quatuor de Beethoven, chaque partition que Sarah joue et qui instantanément devient la préférée de la narratrice, et un peu la nôtre aussi d’ailleurs : « Elle est surprise de l’obsession que je nourris immédiatement pour cet octuor, de mon désir de l’écouter toujours en boucle s’il le faut, d’en écouter tous les enregistrements existants. Elle ne sait pas que la voir jouer le quatrième mouvement a été une des plus belles choses de ma vie. Elle ignore tout de mes paumes fiévreuses, de mon pouls qui palpite, des voix cotonneuses » (p. 67).
Ça raconte Sarah, un premier roman envoyé par la poste, de la plume d’une romancière brillante, et l’envie, déjà, de découvrir son deuxième.
Rackelle TEBECHRANY
Département de langue Française
Université Libanaise, section II
Tobie NATHAN
L’évangile selon Youri
Éd. Stock, 2018 (299 p.)
Bonne nouvelle ?
Dans un monde désenchanté, froid et apathique, dans le Paris d’aujourd’hui, et plus précisément sur le boulevard d’Arago, vit Élie, ethnopsychiatre qui ressemble beaucoup à Tobie NATHAN, l’auteur de L’évangile selon Youri, paru aux Éditions Stock, le 22 août 2018.
En effet, l’auteur et son personnage partagent à peu près un même passé : tous deux, Juifs égyptiens, ont dû fuir à un moment donné de leur vie leur pays natal et se réfugier dans un pays qui, à ce moment-là, leur était encore inconnu. Tous deux, ethnopsychiatres de profession, croient aux djinns, aux esprits, à l’interprétation des rêves et s’intéressent tout particulièrement aux migrants et aux immigrés. C’est donc à travers leurs yeux, leurs croyances, leurs expériences personnelles et professionnelles que nous est raconté ce roman. Roman qui, déjà par son titre, provoquant pour certains, un peu déjà vu pour d'autres, intrigue et crée chez le lecteur certaines attentes, certaines questions, le poussant aussi à imaginer de nouvelles prophéties, des miracles inouïs et à souhaiter découvrir une nouvelle vision, une perception inédite des choses et des questions de la vie.
Youri est un jeune Tzigane venu tout droit du fin fond de la Roumanie. À peine âgé de dix ans, sans papiers ni logement, il fait irruption dans la vie monotone d’Elie. Au premier abord, on pourrait se dire que cette histoire n’a rien de spécial, mais tout bascule lorsqu’on découvre que ce petit enfant taciturne, ne parlant que pour prononcer quelques phrases souvent poétiques et incomprises, est doté de pouvoirs assez spéciaux et qu’il pourrait être le nouveau petit dieu de notre ère.
L’idée du roman est assez originale. Ses personnages, bien que trop nombreux et faisant beaucoup d’interventions qui n’aident pas spécialement à l’évolution de l’intrigue, sont eux aussi originaux. Car on se rend compte du besoin crucial qu’ont les gens d’aujourd’hui de croire en quelque chose de plus puissant qu’eux. Pourquoi donc ne pas se retourner vers les vraies religions, vers le vrai Dieu ? Elie, et peut être bien Tobie Nathan, essaye de répondre à cette question, mais sa réponse laisse le lecteur perplexe. En ce qui concerne Youri, ses regards et ses silences, au début de l’intrigue, promettaient des réflexions et des paroles qui ne sont jamais venues tout au long du roman. On aurait bien aimé l’écouter parler, savoir un peu comment pourrait bien penser un supposé nouveau petit dieu, connaître les motifs de ses actions, de sa venue sur terre... Mais non, rien de tout ça, Youri reste muet, même devant la détresse de certains personnages et même après avoir sauvé la vie de plusieurs hommes. C’est comme si Youri était quelque peu dépourvu de psychologie, comme s’il était un simple moyen utilisé par l’auteur pour diffuser ses idées personnelles. En effet, on peut facilement détecter des passages purement autobiographiques, des passages où l’on décèle aisément les propos de Tobie Nathan derrière ceux d’Elie ou des autres personnages.
On aurait aimé aussi faire plus amplement connaissance avec le monde des Tziganes, connaître leurs traditions, leurs modes et conditions de vie, voyager avec eux dans leurs roulottes ou ressentir, tout en lisant, la musique qui les habite. En ce qui concerne le style d’écriture, on peut affirmer que l’histoire est assez bien écrite, et elle se lit facilement. Les phrases sont simples, courtes et certains passages sont même dotés de rimes intérieures.
En conclusion, ne sachant pas vraiment si cet évangile constitue une bonne nouvelle ou non, on laissera toute liberté au lecteur de juger par lui-même et de trouver la réponse qui lui convient le plus. 
Léa FARAH
Département de Langue et Littérature Françaises
Université Libanaise


Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Minuit, 2018 (189 p.)
Un amour à la lisière de la folie
Ça raconte Sarah, premier roman écrit par l’auteure française Pauline Delabroy-Allard, constitue un véritable chef-d’œuvre où amour, passion, folie, aventure et tragédie s'entrelacent. Sous sa plume, Pauline Delabroy-Allard montre que l'amour n'a pas de frontière en mettant en scène deux femmes qui s'aiment follement.
Le roman se divise en deux parties. Dans la première partie, la narratrice qui reste anonyme entreprend de décrire la silhouette allongée auprès d'elle sur le lit. Elle fait un flash-back pour dévoiler l'amour charnel qu'elle éprouve envers cette femme pâle, souffrante, gisant sur son lit, Sarah. La narratrice, jeune professeure et mère d'une enfant, mène une vie pénible après la séparation d’avec son mari qui "a disparu sans crier gare". Tous les jours se ressemblent. La vie devient monotone. Le soir du 31 décembre, elle rencontre Sarah en fêtant le nouvel an. L'accent est mis sur le personnage de Sarah, son allure et son caractère. C'est une femme d'une beauté extrême, âgée de trente-cinq ans. Sarah est violoniste. La phrase "Elle est vivante" se répète à plusieurs reprises dans le roman pour mettre en avant la vitalité de Sarah. De surcroît, passionnée et amoureuse de la vie, "elle se grise tous les jours". Elle aime rire, parler, fumer, boire, danser, chanter et jouer de la musique. L'héroïne et la narratrice éponyme se lient d'une forte amitié. Sarah avoue à la narratrice qu'elle est amoureuse d'elle, un aveu déposé comme un cadeau de Noël. Les deux protagonistes s'engagent alors dans une relation sexuelle, une passion violente, un amour illimité, démesuré et insensé. Les voyages de Sarah, ses concerts et son emploi de temps surchargé ne l'empêchent pas de voir régulièrement sa bien-aimée.
Contre toutes les attentes, les jours se succèdent, et l’amour des deux femmes atteint un point où il devient étouffant. Selon Sarah, l'amour de la narratrice est à la fois merveilleux et désastreux. Nous sommes choqués de la métamorphose de Sarah qui cède facilement à ses parents, lesquels refusent cette relation perverse. Sarah souffre. Elle est tiraillée entre l'envie de rompre avec la narratrice et son désir de rester avec elle. Quant à la narratrice, elle devient incapable de supporter cette relation qui l'opprime. À notre surprise, Sarah lui reproche sa beauté, sa gentillesse, son dévouement et le fait qu'elle soit une femme ! Sarah s'affole, elle gifle sa bien-aimée, la baise, l'insulte, la pousse et lui fait l'amour. Elle est à la fois cruelle, animée, exaltée, passionnée, imprévisible, versatile, terrifiante, mais toujours vivante. Elle ressemble au soufre qui brûle, qui illumine puis disparaît en exhalant une odeur forte mais insupportable, perdurant un certain temps après sa disparition. Épuisée et décidée, Sarah rompt avec son amante. Cette rupture affecte profondément la narratrice et lui cause des maux psychologiques et des douleurs physiques. Le souvenir de cet amour devient alors le refuge où elle s’abrite afin de fuir la cruauté de la vie.
Dans la seconde partie du roman, les jours passent et les deux protagonistes se rencontrent. Sarah apprend à la narratrice qu'elle a un cancer. Du coup, une nouvelle description de Sarah s’impose. La narratrice insiste sur le portrait de Sarah agonisante. Elle ne cesse de répéter : "C'est elle, la mort. Sarah la mort." Cette dernière n'a plus goût à la vie. Une atmosphère de deuil règne alors, renforcée par tout un champ connotatif de la mort. Tantôt, Sarah avoue à la narratrice qu'elle l'adore, tantôt elle renie cet amour. Elle est confuse et incertaine. Quant à la narratrice, elle commence à sentir la mort qui rôde autour de Sarah, et ne peut plus supporter d'assister à sa mort. Elle ne peut ni sentir son odeur ni caresser son corps. Elle n'arrive plus à regarder le visage de son amante, vit constamment dans la peur, peur de la voir s’endormir pour ne plus se réveiller.
Ça raconte Sarah est l’histoire de l’amour et de la solidarité écrite avec autant de talent que de simplicité. On a l'impression de suivre un film d'amour où se mêlent les sentiments les plus authentiques et les plus contradictoires.
Du point de vue stylistique, Pauline Delabroy-Allard se présente comme une écrivaine à la fois minutieuse et méthodique. Elle opte pour un style léger, attachant, à la fois rapide, haché et aéré, incitant ainsi le lecteur à rêver entre les pages de son roman.

Dina MOSSAAD
Département de Langue et de Littérature Françaises
Université d'Alexandrie

Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
Qui mérite de vivre ?
Ce roman fait appel aux mythes et aux légendes de l’Antiquité. Il s’agit des forces supérieures à l’homme qui sont, selon l’Antiquité, antérieures même à son existence.
Daniel Picouly donne vie à cette catastrophe qui a eu lieu il y a plus d’un siècle pour que l'on puisse concevoir la souffrance de l'île. Avant de lire ce roman merveilleux, nous devons nous dépouiller de nos jugements personnels, et accepter de voir les choses du point de vue de la Montagne Pelée, laquelle a ses propres raisons. Cette Montagne, enrichie par les personnifications, pense, parle et voit tout. L'éruption ne signale rien d’autre qu’une révolte contre tous les habitants de l’île. La montagne surgit en effet comme une puissante inégale. C’est grâce à la Montagne Pelée que le lecteur peut découvrir la vie corrompue des habitants. Je pense que la montagne, avec son éruption, représente les hommes qui souffrent d’injustice dans la ville. Cette injustice provient de ceux qui manipulent la religion et la politique dans leur propre intérêt. Cependant, malgré l’événement tragique et inévitable, la vie suit son cours. À mon avis, le roman mérite d'être lu parce que le lecteur peut s’identifier à n'importe quel personnage, et dans chacun de ces personnages, il y a quelque chose qui touche le cœur...
Suhaib AlTAWALBEH
 Département de Langue et Littérature Françaises
 Université d'Al Zaytoonah


David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (175 p.)
Frère d’âme
Je viens de terminer un livre que j’ai beaucoup aimé. Il s’agit de Frère d’âme de David Diop. Cet écrivain franco-sénégalais a écrit plusieurs livres, dont Coups de pilon, L’attraction universelle et Rhétorique nègre au XVIIIème siècle. Frère d’âme, publié aux Éditions du Seuil, est paru le 16 août 2018. C’est un récit d’une beauté prodigieuse qui décrit la violence de la mort et de la perte. Son auteur, David Diop, nous transporte dans la tête d’un soldat de la Grande Guerre.
Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Les soldats s’élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais parmi tous ceux qui se battent sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba est blessé et meurt sous les yeux d’Alfa. La relation qui unit ces deux tirailleurs n’est pas seulement amicale, elle est à proprement parler fraternelle. Se trouvant devant une telle situation tragique, Alfa en perd presque la raison. Détaché de tout, y compris de lui-même, il se venge pour son frère d’âme Mademba.
Frère d’âme est un récit âpre et somptueux, celui d’un tirailleur sénégalais. C’est un récit d’une amitié, d’un exil, d’un arrachement au milieu de l’horreur des barricades, d’un déchirement, d’un basculement dans la folie et de l’hystérie sauvage d’une guerre qui ne laisse pas de place à l’humanité. Alfa Ndiaye, victime d’un colonel acharné, voit son “plus que frère” tomber sous les obus et sombrer alors dans une folie meurtrière. Frère d’âme nous dévoile les facettes de ces jeunes homes arrachés de leur terre, partis combattre pour un pays qui n’était pas le leur, pour une guerre qui ne les concernait pas. La présentation de Frère d’âme pourrait tromper. L’intrigue est ancrée dans la réalité sordide d’une guerre ; l’écriture la sublime. Ce roman met en scène les combattants africains qu’on méprise, les désignant au moyen de l’appellation de “chocolats”. On n’attend pas grand-chose de ces jeunes garçons, on vante leur force physique et leur puissance, pour mieux nier leur intelligence et leur humanité.
Ce roman m’a énormément plu, et il vaut vraiment la peine qu’on le lise. Je vous le conseille à tous, pour profiter de ses leçons...

                                                                                                                      Morélia KIWAN
Département de Littérature et de Langue Françaises
Université Libanaise, Section IV

David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (176 p.)
Mon plus que frère
Le narrateur Alfa, nous raconte son histoire avec son ami intime, décédé à la suite d’un lancement d'obus durant la guerre. Comme Mademba est son « plus que frère », il n’a pas pu accepter sa mort. Le pauvre Mademba a en effet vécu des heures terribles avant sa fin, toutes entrailles dehors : « Ah ! Mademba Diop, mon plus que frère, a mis trop de temps à mourir. Ça a été très, très difficile, ça n'en finissait pas, du matin aux aurores, au soir, les tripes à l'air'' (p. 12). Ce temps des douleurs pénibles de Mademba était insupportable, et c’est cette situation qui l’a obligé à demander à Alfa de l'achever. Mais il était très difficile à Alfa de l'écouter, Alfa qui se retrouve en proie à un conflit intérieur, moral, entre la souffrance de son ami d'enfance et l'amertume de le perdre s'il acceptait sa demande : « Je n'ai pas su couper le fil barbelé de ses souffrances. Je n'ai pas été humain avec Mademba » (p. 13).
Alfa continue à nous décrire les circonstances de la souffrance endurée par son « plus que frère », à nous raconter comment les armées avaient fait preuve d’un courage héroïque lors de l’affrontement de l'ennemi, nous plongeant dans l'atmosphère terrible de la bataille, sous le feu de l’ennemi. Alfa a témoigné d’une sensibilité profonde, touchant aussi bien les cœurs et les corps au sein de la barbarie de la guerre. Normalement, en pleine bataille, on n'a qu’à être hardi et solide sous le feu aveugle de l’ennemi. Mais Alfa n'a pas oublié qu'il est un être humain. Il ne s'est pas rendu compte que la mort pouvait le priver de son « plus que frère ».
En revanche, Alfa a été victime de sa grande sensibilité et de sa sincérité envers son ami d'enfance. Cette malchance a fait que ses camarades ont cru que c’était lui le coupable, et nul autre. Ils ont cru qu'Alfa a étripé Mademba de son plein gré. On est ici devant un destin qui punit l'individu de sa trop grande sensibilité. Bien qu'Alfa ait eu l'espoir de sauver son « plus que frère », ils n'ont jamais pu revenir ensemble à leur amitié époustouflante. La mort les a atteints en vérité les deux, l'un physiquement, et l'autre moralement.
Cependant, cette perte si pénible a rendu Alfa plus fort qu'avant. Une grande énergie est née de lui, à la fois de son âme et de son corps, pour le rendre plus combattant. Cette force a unifié au fond de lui des paradoxes fertiles à saisir : '' Je suis l'assassin et le juge. Je suis les semailles et la récolte'' (p. 165). D'après Alfa, ce n'est que l'âme de Mademba qu'il a cédé au nom de leur amitié.
Bien que la guerre occupe une place essentielle dans l’œuvre, on peut également y lire une quête identitaire. Dès la couverture, l’auteur a mis « Diop » en gras, ce qui ne peut passer inaperçu. Si l’auteur a éliminé Mademba Diop dès le départ et a poursuivi la narration par un autre, Alfa, c’est pour initier une quête de lui-même. Ce renversement des rôles") qu’à l’instant où je nous pense désormais lui est moi et moi suis lui (" (p. 175) ne veut pourtant pas dire que « frère d’armes » n’est que frère d’âme...
Israa AL HAMAWENDI
Département de Français
                                                                                                                             Université de Bagdad 

Pauline DELABROY-ALLARD
Ça raconte Sarah
Éd. Les Éditions de minuit, 2018 (189 p.)
La Modification
"O claire nuit jour obscur/ Mon absente entre mes bras/ Et rien d'autre que ce que tu murmuras". Cet extrait d'un poème de Louis Aragon (Les Lilas) saute aux yeux dans la préface du livre : il résume toute l'histoire d’une manière impeccable. Ça raconte Sarah est l’histoire de la solitude, de l’amour et de la perte, qui se répètent dans un cercle vicieux, comme si c’était une fatalité. Au début du livre, le personnage principal (la narratrice) est une jeune femme abandonnée par son amour. Celui-ci disparait sans aucune raison, sans crier gare et la laisse seule avec un enfant. Du jour au lendemain, tout change dans sa vie. Professeure au lycée, elle travaille et sort avec son enfant pour oublier son chagrin. Elle noue ainsi une relation éphémère avec un garçon bulgare qu’elle n’aime pas. Celle-ci s’applique à vivre sa vie, "sans surprise, sans mystère".
Un jour, pendant une soirée, elle rencontre Sarah, ce qui bouleverse sa vie n’a jamais. Sarah est une musicienne active, passionnée, exaltée et imprévisible ; ce qui manque à la vie de la narratrice. Un soir, alors qu’elles sont ensembles, Sarah lui avoue son amour. C’est le début de toute l’histoire. La narratrice, pour remplir le vide de sa solitude, accepte ses sentiments passionnément. Elles s'aiment alors à la folie. Mais Sarah ne supporte pas de rester longtemps dans un même lieu. Elle part de temps en temps en voyage et cela blesse le personnage principal. Après une longue rupture, elle rentre, avouant de souffrir d’un cancer du sein.
La deuxième partie du livre est celle de la mort, du chagrin, de la solitude et de la désillusion. En effet, Sarah meurt et le personnage principal plonge une autre fois dans sa solitude. Mais cette fois-ci, sa vie en est bouleversée. Elle voit Sarah et entend sa voix partout où elle va. Et c’est là qu’est entrepris un long voyage pour fuir le souvenir de Sarah. C'est durant ce voyage-là qu'elle voit se former une nouvelle personnalité et de nouveaux sentiments.
C'est la première fois que Pauline Delabroy Allard écrit un roman, et sa présence dans la deuxième sélection du Goncourt, nous montre qu’elle a composé ce livre de sa plus belle encre. Le portrait qu’elle nous dépeint de son héroïne, c'est son portrait même. Car elle aussi est une professeure de lycée qui a été abandonnée par son amour. Qui sait ? Peut-être y avait-il une certaine Sarah dans sa propre vie qui a tout bouleversé... Peut-être que ce roman a une composante autobiographique...
Ce roman est davantage un roman d’apprentissage qu’un vrai roman qui parle d’amour ou d'homosexualité. L’amour est un moyen de construction, un moyen de connaissance de sol. Que savait la narratrice d’elle-même avant de rencontrer Sarah ? Elle était un personnage dépendant qui ne savait pas vivre seule. Dans la première partie, elle souhaitait que quelqu’un l’accompagne, cherchant un abri sentimental pour pouvoir s’apaiser. Elle initie ainsi une liaison avec ‘son compagnon’ pour remplir sa solitude, pour oublier ses chagrins et sans doute pour fuir son passé. Sarah change tout. Dans cette partie, on voit la naissance et l’épanouissement d’un amour pur. Cet amour donne sens à sa vie. Entre les moments doux et amoureux, et les moments d’attente, elle se trouve elle-même, petit à petit. Néanmoins, sa personnalité ne se forme pas d'une manière complète. La deuxième partie, est tragique et commence par la mort de Sarah. Cette fois-ci, l’héroïne de l'histoire ne peut plus vivre sa vie normale. Tout est ébranlé. Au fur et à mesure, elle va réapprendre à vivre seule et indépendamment. C'est la raison pour laquelle je donne à mon article le titre de Michel Butor, La Modification.
Mais cette évolution n'a pas l'effet escompté sur les lecteurs. Le rythme de la deuxième partie est fatigant, contrairement à la première partie, dont les phrases et le rythme sont à la mesure de l’histoire. Les phrases de la première partie ne nous laissent pas souffler. Elles sont courtes, comme les relations de la narratrice et comme la durée de sa joie. Pour finir, c'est un livre qui vous plonge dans un monde particulier et vous bouleverse : un bon livre pour retourner en vous, en vos sentiments.
Hanieh RAEISZADEH
Département de Français
Université de Téhéran

David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (176 p.)
Deux âmes entremêlées
Né à Paris en 1966 et élevé au Sénégal, l'auteur, David Diop, est actuellement maître de conférences à l'université de Pau. Il a publié récemment son deuxième roman intitulé Frère d'âme et déjà très remarqué. L'auteur a voulu mettre en avant l'histoire des tirailleurs sénégalais car il n'y a pas de lettres de poilus sénégalais connues.
Deux Sénégalais, deux âmes jumelles, partis au front de la Grande Guerre : Alfa Ndiaye et son "plus que frère" Mademba Diop. Le début du livre commence avec la mort de Mademba Diop. Alfa assiste à son agonie, puis à son décès, impuissant. Alfa a en effet refusé d'abréger les souffrances de son ami à cause d'une voix intérieure lui ordonnant de ne pas désobéir "aux lois humaines". Cet événement traumatisant est le point de départ de son récit et le début d'une pensée enfin délivrée : "ce que je pense, c'est ce qu'on veut que je ne pense pas". Alfa Ndiaye a voulu venger la mort de son "frère d'âme" en tuant de manière sauvage les ennemis d'en face et en abrégeant leur souffrance par "humanité retrouvée". Un paradoxe troublant.
Devenu terrifiant aux yeux de tous ses camarades de guerre, Alfa est envoyé à l'Arrière du front durant un mois. C’est là qu’il se mettra à dessiner des êtres chers perdus et à revenir sur sa vie avant la guerre en Afrique : une sorte de thérapie mais qui, pour autant, n'aidera pas à sauver l'esprit d'Alfa Ndiaye. À la toute fin, son âme se perd, se trouble, seul le corps de lutteur d'Alfa reste intact sans cicatrice : un corps vide et déserté. Au nom de quoi Alfa a-t-il fait cela ? C'est au lecteur de l'imaginer...
L'écriture de David Diop est dense, prenante, poignante. La lecture est simple et profonde à la fois. On y rencontre un bon nombre de métaphores et de répétitions. Ce livre nous amène aussi à nous questionner sur les liens d'amitié qui peuvent être très forts, indestructibles et spirituels. Il nous fait réfléchir sur la guerre en général, sur sa folie meurtrière, sur sa sauvagerie poussée à l'extrême, sur la haine et la vengeance acharnées. On nous montre ici que seule la folie passagère est acceptée à la guerre, si elle est trop présente, il faudra la cacher car elle dérange, étant taboue. "Ce livre débordant de réflexions ne vous laissera guère impassible."
Daliana QADADEH
Département de Français
Université de Petra

David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (176 p.)
Une boucherie héroïque
Frère d'âme est un roman qui se passe pendant la Première guerre mondiale et qui met en scène des tirailleurs sénégalais combattant sous le drapeau français contre les Allemands. Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs, sont les personnages principaux de l'intrigue. C’est Alfa Ndiaye qui retrace les événements qui se déroulent durant la guerre. Son ami, son « plus que frère », va mourir au milieu de cette boucherie. Mademba est en effet gravement blessé. Il supplie d'Alfa de l’achever : « Alfa Ndiaye... Alfa... je t’en supplie... égorge-moi ! » Alfa, pourtant fidèle, n'aura pas le courage d'abréger les souffrances de son meilleur ami en obéissant à son ordre. Alfa est dans le regret de ne pas pouvoir l'achever et il demande pardon au défunt.
Par la suite, Alfa ne sera plus un soldat comme les autres. Il ne connaîtra plus la peur, attendant la nuit pour rapporter un fusil ennemi avec la main qui allait avec. Chaque main rapportée est comme une revanche prise sur la mort de Mademba, comme si Alfa faisait désormais la guerre pour venger la mort de son ami. Dès lors, les soldats le considèrent comme un « dévoreur d'âmes ». Le capitaine Armand décide de le mettre à l'arrière du front pour lui permettre de se reposer. C’est là qu’Alfa sera sujet à des réminiscences, réelles et rêvées, du Sénégal. La furie et la folie de la guerre lointaine percutent les souvenirs d'enfance, la perte de la mère et l'amour de Fary. Enfin, Alfa demande : « qui suis-je ? » Il découvre qu'il est double, qu’il est lui-même mais aussi l'ami qu'il n’a pas achevé et que son âme est allée mourir dans le corps de son plus-que-frère.
Le style est simple et amusant. Il y a des phrases qui reviennent régulièrement dans le récit, comme « Par la vérité de Dieu », ou encore « je sais, j'ai compris, je n'aurais pas dû ». L'écrivain génère ainsi un rythme grâce à cette répétition, et les phrases restent dans notre tête.
Selon moi, ce roman que j’ai adoré est riche de descriptions de guerre, sujet important qu’on doit s’efforcer de comprendre. J’ai aussi aimé la manière dont sont décrites les horreurs de la guerre. Maintenant, j'ai compris que la guerre est une grande boucherie qui ne tue pas seulement les corps des gens mais aussi leur cœur et leur pensée. Les soldats qui demeurent vivants à la fin de la guerre ont perdu toute sensation et émotion. Ils portent un cœur déchiré et une pensée troublée en raison de tous les événements violents et sauvages qu'ils ont endurés au milieu de la guerre.
Nidal MOHAMED
Département de Français
Université de Khartoum

Thomas B. REVERDY
L’hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (224 p.)
L’Espoir au bout du chaos
Thomas B. Reverdy est un romancier français né en 1974. Il est Agrégé en Lettres modernes ; sa spécialité est le roman contemporain. Il est enseignant de littérature dans un lycée parisien. Jusqu'à août 2018, il a publié 10 romans, dont quatre ont obtenu des prix littéraires et maintenant, L'Hiver du mécontentement, sujet de cette chronique, figure dans la liste des ouvrages susceptibles d’obtenir le Prix Goncourt 2018.
Cadre thématique :
Le roman de T. Reverdy intitulé L'Hiver du mécontentement se déroule en Angleterre, plus précisément dans les rues de Londres, entre 1978-1979. Candice est une jeune fille qui prend des cours de théâtre. Comme tous les jeunes, elle se trouve profondément touchée par la crise économique qui a frappé le pays. Cette crise s'est considérablement accrue suite aux mouvements de contestation contre la politique du gouvernement travailliste tenant le pouvoir à cette époque. Les manifestations et les grèves ont presque paralysé le rythme de la vie quotidienne. Des milliers d'employés ont ainsi perdu leur emploi et se retrouvent sans ressources financières.
L'arrêt par exemple des travaux de nettoyage et de la collecte des déchets a transformé Londres en une décharge colossale de poubelles : "Les rues déjà sales et noires de Londres s'encombraient de poubelles." (p. 21). Le parti conservateur a profité de ce désordre sociopolitique et a promis d'offrir des emplois à cette armée de chômeurs ainsi qu’une vie meilleure à la population. Enfin, les conservateurs ont réussi à prendre le pouvoir et Margaret Thatcher, la dame de fer, est devenue Premier ministre. En plein chaos économique et social ébranlant la capitale britannique, Candice, protagoniste du roman, réussit à trouver un emploi de coursier, livrant courriers, colis et plis aux bénéficiaires. Grâce à cet emploi, elle peut désormais gagner sa vie et s’offrir des cours de comédie. Elle participe même à l'interprétation d'une pièce du théâtre, Richard III, de Shakespeare, avec un groupe de filles (il convient de signaler ici que le titre du roman, L'Hiver du mécontentement, est une expression prononcée par le héros de cette pièce).
C'est ainsi que l'auteur crée un certain cadre spatiotemporel accordant au narrateur la liberté de témoigner de son époque. Candice fait chaque jour le tour de quelques quartiers de la ville à vélo et le narrateur raconte à travers ce qu'elle voit des situations et à travers ce qu'elle entend, des discussions pendant son travail. Ses collègues à la poste et au théâtre échangent eux aussi des idées et des positions relatives à ce qui se passe ; le goût artistique dans ses différents aspects est aussi fortement présent dans le texte, à tel point qu'on a parfois l'impression que l'auteur tente de prouver sa parfaite connaissance des courants politiques et idéologiques régnants en Grande Bretagne dans les années 1970, ainsi que des chanteurs, musiciens et dramaturges – bref, tout des tendances intellectuelles durant cette période.
Ce qui marque la position de Candice à propos des conditions de vie et des circonstances sociales et politiques de son époque, c'est sa nette neutralité, car tout se passe devant elle sans qu’elle ne manifeste le moindre parti pris.  Il s'agit d'une simple fille qui cherche à vivre tranquillement et à se réjouir des petites choses de la vie, sans se soucier des malheurs des autres et du destin de son pays à une époque où, comme elle, des millions d'Anglais souffrent de la mauvaise gestion du gouvernement travailliste, lequel a mené l’État à une faillite presque totale et a engendré une armée de chômeurs.
La présentation intensive des événements politiques et la mise en valeur constante des écoles et courants culturels dans ce roman met le lecteur devant un texte qui s'éloigne peu à peu du contexte et se rapproche plutôt de l’essai critique, dénué de tout jugement vis-à-vis de ce qu'il introduit. Au fur et mesure de l'avancement des péripéties, le récit tombe dans le piège de la monotonie, car le lecteur se rend souvent compte qu'il est devant un essai politique publié dans une revue de critique littéraire, ce qui met en question la valeur esthétique du texte supposé faire partie du genre romanesque. Pourtant, les limites séparant les différentes formes d'écriture ont été largement dépassées depuis le début du 20ème siècle, tels les écrits des surréalistes, des existentialistes, des écrivains du Nouveau-roman et ainsi de suite. Mais ces violations des règles traditionnelles de la rédaction du texte romanesque peuvent être ainsi interprétées comme une sorte de révolte, à l'instar des contestations narrées au cours de ce récit.
Par ailleurs, le lecteur de cette œuvre peut se rendre compte que son auteur a déployé des efforts considérables pour l'accomplir ; c'est un document qui, à travers une création fictionnelle, ne mémorise pas seulement des événements et des situations survenues en Angleterre, mais dans le monde entier.
Cadre stylistique :
Dès la lecture des premières pages de L'hiver du mécontentement, on remarque que son univers narratif relève du courant traditionnel de la genèse romanesque. Il s'agit d'un narrateur omniscient qui se cache quelque part, qui surveille et décrit les minutieux détails de l'espace et de la vie des personnages. C'est un narrateur à la troisième personne du singulier qui manipule tout, tel celui des œuvres romanesques balzaciennes ; un narrateur autoritaire ne laissant aucune marge de liberté, ni aux personnages ni aux péripéties du récit. Seul lui gère et décide du sort de ses personnages.
Une certaine rupture avec la langue soutenue se révèle au fur et à mesure de la progression du texte : le pronom démonstratif ça d'ordre familier se voit presque toujours remplacer « ce » ou « cette ». Il en est de même pour le recours à la forme négative Y a pas, d'ordre argotique, à la place de Il n'y a pas
Enfin, une présence bien nette de l'anglicisme s'impose tout au long de l'ouvrage. Tous les chapitres ou sous-chapitres du roman commencent avec une épigraphe en anglais, titres de chansons en vogue dans les années 1970: Buzzcoks à Pink Floyd, The Damned, The ClashMarianne Faithfull, Joy Division, Sex Pistols et David Bowie, entre autres. Nous rencontrons d'ailleurs des centaines de mots – surtout des noms de lieux – anglais dans toutes les pages du roman, ce qui probablement répond au goût du jeune lectorat français qui favorise ce type d'écrits à une époque où l'anglais devient en quelque sorte un passeport facilitant l'accès au monde extérieur.   

Mohammed Ahmad ALALOOBI
Département de Français
Université de Mossoul


David DIOP
Frère d’âme
Éd. Seuil, 2018 (175 p.)

Ce roman raconte un épisode de la Grande guerre, menée par des Sénégalais qui se battaient sous le drapeau français. À peine surgi de leur tranchée, Mademba, l’ami intime d’Alfa Ndiaye et « son plus que frère », trouve la mort. Avant de mourir, Mademba Diop supplie son ami de l’achever afin d’écourter ses souffrances, une chose que le second se révèle incapable de le faire. Alfa en demeure traumatisé et se transforme en un monstre dangereux. C’est la raison pour laquelle on l’évacue à l’arrière du front, où il a l’occasion de se remémorer son passé au Sénégal, dont l’évocation représente pour lui une réaction à la boucherie de cette guerre. Là, il se souvient de sa mère, de son enfance, du docteur François, de sa fille et de leur rapport sentimental, Mademba et lui-même avec Fary Thiam.
« …… je sais, j’ai compris, je n’aurais pas dû » : cet incipit constitue la charpente de ce roman. Le serment « par la vérité de Dieu » et l’incipit reviennent en leitmotiv. Les deux premiers verbes de l’incipit sont utilisés d’habitude dans une classe de langue ; ils nous indiquent que ce roman est un ouvrage de découverte et d’apprentissage. Alfa Ndiaye, suite à la mort de son ami, a compris le sens de la fraternité, de l’humanité, de l’atrocité de la guerre, du sacrifice, de la privation, de la violence et de la vengeance.
Ici, le narrateur représente et raconte les évènements selon le point de vue de l’un des personnages. En d’autres termes, c’est la focalisation interne qui est incarnée par Alfa Ndiaye par le je de ce personnage principal. Dans ce roman, le récit et le discours sont soudés dans le même personnage. Celui-ci commence par un alinéa tandis que le dialogue est signalé par un petit tiret, de façon à les mettre en relief. Ce roman, composé de 175 pages, n’en comprend en fait que 150, étant donné qu’il contient des pages qui sont, soit aérées, soit vides. Quant aux temps verbaux, ils se concentrent sur le présent, l’imparfait, le passé composé, mais pas le passé simple car le narrateur est témoin des évènements racontés. Même la narration rétrospective se fait avec le passé composé, telles les scènes de la vie familiale au Sénégal où le narrateur familiarise le lecteur avec la vie quotidienne dans ce pays.
Certes, le style de David Diop est caractérisé par la simplicité et la naïveté mais son roman peut être identifié par le mélange des genres, comme la poésie, la fable et le conte. Au début de Frère d’âme, l’auteur ouvre son incipit par un trimètre hiérarchique : «  …je sais, j’ai compris, je n’aurais pas dû ». De plus, le rythme poétique est présent dans le roman via les redondances et les sonorités récurrentes. En effet, non recommandées dans le passé, les répétitions se trouvent réhabilitées par le Nouveau-roman. L’état troublé des personnages les incite à répéter et à se faire répéter afin de renforcer notre conviction, d’où la présence de dictions, les témoignages de personnes âgées et les superstitions. David Diop excelle dans son roman à utiliser les métaphores et les comparaisons où il s’inspire de la couleur locale de son pays ; les composants utilisés sont souvent des monstres, des serpents et des rats. En outre, son roman regorge de plusieurs sortes d’animaux et d’oiseaux exotiques qui sont plus souvent le fait de la fable et non du roman.
Enfin, malgré l’horreur de la guerre, celle-ci n’est pas démunie de valeurs humaines, représentées par l’interdiction de la mutilation des soldats ennemis. Alfa Ndiaye, évacué à l’Arrière, est soupçonné d’avoir coupé sept mains de soldats morts dans le camp de l’ennemi et veut les cacher à tout prix afin d’échapper à l’emprisonnement voire à l’exécution capitale.
Shaalan Hameed AWAD
Département de Français
Université de Mossoul


Paul GREVEILLAC
Maitres et esclaves
Éd. Gallimard. 2018 (457 p.)
Maîtres et esclaves est le titre du roman de Paul Greveillac, paru en 2018. On y suit le parcours mouvementé d'un paysan du Sichuan qui devient, au plus fort de la Révolution culturelle chinoise, un grand peintre de propagande. Il figure sur la première sélection du Prix Goncourt et du Prix Jean-Giono.
Dans cette fresque historique de la Chine de Mao à nos jours, Paul Greveillac propose de suivre la vie du peintre Tian Kewei. Greveillac le présente depuis sa naissance en 1950, avec son lot de malheurs et très peu de bonheur. En maniant une langue riche et poétique, il a réussi à faire voyager le lecteur dans l’impitoyable Chine maoïste, à dépeindre un régime politique et social particulier, mais aussi à retranscrire l’ambiance délétère qui envahit peu à peu ce pays. Car malgré la rudesse de la vie dans la campagne chinoise de 1950, Kewei peut compter sur la légèreté de son père, paysan et peintre amateur, qui l’initie à la sensibilité de l’art et de la contemplation, en dépit des critiques maternelles. Quel avenir alors pour cet enfant promis au dur labeur ?
Mise en page :
Le titre est attractif. Il nous incite à découvrir les secrets cachés derrière ce long roman de 457 pages. Mais le lecteur trouve plaisir à continuer sa lecture en suivant la nouvelle République chinoise à travers cette famille.
Le roman est composé de 10 chapitres et chaque chapitre contient plusieurs scènes.
Aspects thématiques :
Le lecteur trouve avantage à lire ce roman qui ressemble à un texte documentaire qui nous fait découvrir la vie politique, économique et culturelle du Chine. Parfois, le lecteur a besoin de dictionnaire, d'encyclopédie ou même de Wikipédia pour savoir ce que signifie « Livre rouge », « Grand Bond », « Révolution culturelle », « Quatre vieilleries », etc…
Le narrateur présente toujours des tableaux descriptifs panoramiques qui plongent le lecteur dans ce monde.
Aspects stylistiques :
Le narrateur utilise pleinement les figures de style, notamment la comparaison. On peut dire que chaque page contient un écart. Son style raffiné nous rappelle le style des grands auteurs.

Fedwa Abdulkhaliq SALEH
Département de Français
Université de Mossoul


Thomas B. Reverdy
L’hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (224 p.)
Run Like Hell
« Il y a toujours un mélange ambigu de peur et de joie au spectacle du chaos. D’abord la peur. » (p. 71).
L’hiver du mécontentement est un titre qui fait référence aux premiers mots que prononce Richard III dans la pièce éponyme de Shakespeare, qui a été reprise par le journal populaire « The Sun », à une période particulière de l'Angleterre.
Thomas B. Reverdy est un romancier français né en 1974. Il est titulaire de plusieurs prix littéraires. Il est passé par les États-Unis et le Japon avant d’arriver en Angleterre, où il a choisi d'écrire son septième roman, L’hiver du mécontentement, qui emporte le lecteur à l’époque des années 1978-1979, au moment où le pays traverse une grave crise politique et économique.
Candice, l’héroïne, parcourt les rues de Londres sur son vélo de coursier. « Elle venait d’avoir vingt-ans. C’est un âge où la vie ne s’est pas encore réalisée. Où tout n’est encore que promesses – ou menaces. » (p. 10). Mais elle ne fait pas seulement le coursier pour gagner quelque argent car elle fait aussi partie d’une troupe théâtrale entièrement féminine. On les appelle « les Shakespearettes » et Candice joue le rôle de Richard III de Shakespeare. Entre les répétitions et son travail dans les rues de Londres, elle ressent la crise en Angleterre où les ouvriers de l'usine Ford se sont mis en grève.
Au théâtre Warehouse, lors d’une répétition, elle croisera une Margaret Thatcher encore méconnue venue prendre un cours de diction et déjà bien décidée à se hisser à la tête du pays. En effet, la future dame de Fer va s'imposer avec le parti conservateur, et appliquera des mesures impopulaires pour sauver le pays de la banqueroute.
C’est évoquer une période difficile où la jeunesse ne trouve plus sa place, où le syndicalisme s’effondre, où chacun doit se battre pour survivre. Au passage, une question sur les mécanismes du pouvoir nous vient à l’esprit : qu’est-ce que réellement que le pouvoir, la possibilité de donner de l’amour mais aussi celle de détruire à travers la haine ?
L'hiver du mécontentement, c'est le glas du pouvoir qui ne sert que lui-même, le glas de l'oppression sous toutes ses formes. J’ai bien aimé le personnage principal de ce roman, chaque chapitre portant un titre de chanson ou d’air musical. Cela peut aller des Beatles à Marianne Faithfull, en passant par les Rolling Stones, les Sex Pistols, sans oublier Pink Floyd ou David Bowie…
Hessa Nasser AL-FARRAJ
Département de Français
Université Princesse Nora bint Abdul Rahman

François VALLEJO
Hôtel Waldheim
Éd. Viviane Hamy, 2018 (288 p.)
Spotlight
« Ça vous rappel queqchose? ». Oui, ça me rappelle « The Shining », les portes qui s'ouvrent et qui se referment, sans cesse. Fait d’obscurité, Hôtel Waldheim commence avec ces mots écrits « dans une langue à la fois familière et fautive », mais plus Jeff Valdera évoque les mémoires de son dernier voyage en Suisse, à Davos, à l'âge de 16 ans, plus je m'éloigne du chef-d'œuvre de Stanley Kubrick... Or, c'est exactement ce que l'auteur cherche et essaie de suggérer : la contradiction.
François Vallejo, qui n'est ni étranger aux thèmes historiques (Voyage des grands hommes et Ouest), ni nouveau venu dans la liste du prix Goncourt (Madame Angeloso et Ouest), a choisi un hôtel en Suisse comme cadre où se déroule l'histoire. Probablement parce qu’il fallait l'endroit le plus neutre dans le monde entier pour illustrer les querelles de la guerre froide. À partir de ce décor, l'écrivain crée une atmosphère de plus en plus énigmatique et en même temps mouvementée.
Au début, nous suivons seulement les mémoires de Jeff Valdera. Mais voilà qu’apparaît Frieda Steigl, l'expéditrice des cartes postales, qui a perdu son père pendant les années 1970. Dans le roman, le rappel de cette perte prend forme et le moment de la contestation arrive.
Le roman met en effet en scène un aspect des relations humaines où le jugement joue le rôle le plus important. Après 40 ans, Frieda Steigl fait irruption et s'assied sur la chaise du juge d'instruction, pour jeter un nouvel éclairage sur l'adolescence de Jeff Valdera, afin de retrouver les dernières traces d'un père perdu. Cependant, selon Jeff Valdera, cette lumière est tout à fait fausse, ce qui le dispense de répondre, et d'accepter le rôle que la Stasi lui a déjà donné. L'auteur nous conduit ainsi dans le labyrinthe des mémoires, mais il ne montre pas les pièges car la mémoire peut se tromper, peut être falsifiée et même peut trahir.
Mohammad AMIRMOAFI
Departement de français
Université de Téhéran

David DIOP
Frère d’âme
Éditions du Seuil, 2018 (176 p.)
LES DÉRACINÉS
Alors que seules les côtes africaines, ont été abordées par les Européens depuis le XVème siècle, cette quasi ignorance des réalités du vaste continent n’a pas empêché la production d’une abondante littérature de voyage et d’imagination.
L’auteur de cette œuvre, David Diop, est maître de conférences en littérature française du XVIIIème siècle à l’Université de Pau et des pays de l’Adour, depuis 2014. Ses publications portent sur les représentations européennes de l’Afrique et des Africains au siècle des lumières.
À travers Alfa Ndiaye, soldat sénégalais de la Première Guerre Mondiale, Frère d’âme transforme les manières de penser la violence extrême et d’en construire des fictions. Frère d’âme avance dans le temps, jusqu’en 1914, lorsque deux jeunes Sénégalais, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, en viennent à penser que « la guerre est une chance pour partir de Gandiol. »
Les deux hommes, à peine sortis de l’adolescence, sont dès lors plongés dans une guerre à laquelle ils ont voulu prendre part pour obtenir le droit d’être rattachés à la France.
Mademba Diop est un jeune homme de lettres, qui a passé des années dans l’éducation, l’école lui ayant mis en tête de sauver cette mère-patrie qu’est la France. Il décide alors de partir du Sénégal vers la France, pour tenter d’avoir accès à des postes importants dans la société. Il veut parcourir le vaste monde. Il croit ainsi que la Grande Guerre est l’occasion rêvée de partir de Gandiol et de devenir citoyen français. Influencé par les pensées de Mademba Diop, Alfa commence à avoir lui aussi envie de partir avec lui en France. Premièrement, parce que c’est son « plus que frère », et qu’ils sont amis d’enfance. En effet, depuis le départ de la mère d’Alfa, ils habitent ensemble. Car Alfa travaille non seulement dans les champs de son propre père, mais il s’occupe aussi de ceux de Siré Diop, le père de Mademba. Deuxièmement, il est convaincu qu’il retrouvera sa mère s’il fait fortune. Avec ses propres mots, comme il dit, ils seront riches et deviendront des « grands quelqu’uns ».
Se déraciner pour réussir à l’avenir... Comme les sept jeunes gens dans l’œuvre de Maurice Barrès intitulée Les Déracinés, qui se retrouvent à Paris où ils essaient d’occuper des postes importants dans la société française, les deux protagonistes du roman de D. Diop quittent leur village natal.
Ce roman de David Diop, qui s’inspire aussi des aliénations causées par la colonisation européenne, fait le voyage du Sénégal vers la France avec ces soldats déracinés.
Gandiol du Sénégal est une région importante qui regroupe plusieurs villages dont l’un s’appelle Ndiébène. Je pense que le nom du premier personnage de ce roman est choisi d’après ce village. Ce qui vient à son esprit, c’est qu’il a déjà une place authentique, en voyant son nom de famille. Il est donc bien regrettable de voir comment la guerre a pu anéantir la vie des Africains.
De nombreux jeunes gens du Moyen-Orient seront capables de saisir les sentiments d’Alfa et Mademba, car comme les personnages du roman, ils ont vécu les guerres et ce genre de violence, jusqu’aujourd’hui, ne leur est pas étranger...
Narges TOUTOUNCHIAN
Département de français
Université de Téhéran

Tobie NATHAN
L’Évangile selon Youri
Éd. Stock, 2018 (280 p.)                   
Les bonnes nouvelles d’un enfant extraordinaire
Tobie Nathan est né en Égypte mais il a poursuivi ses études en France. Psychologue et écrivain, il est l’un des représentants de l’ethnopsychiatrie française. Celle-ci s’est intéressée aux désordres psychologiques en rapport à leur contexte culturel d’une part, aux systèmes culturels d’interprétation et de traitement du mal, du malheur et de la maladie d’autre part. Il a publié plusieurs romans comme Ce pays qui te ressemble ou encore Les nuits de Patience.
C’est un roman véridique, c’est-à-dire qui raconte véritablement des sensations et différents événements actuels. L’Évangile selon Youri est un roman géographique qui nous emmène dans les rues de Paris et nous invite à les découvrir autrement. Tobie Nathan parle par la voix de son narrateur, Elie, qui est ethnopsychiatre à la retraite. Elie devient le prophète malgré lui d’un messie de 8 ans aux cheveux hirsutes et aux étonnants pouvoirs : Youri, mi-Tsigane, mi-Juif. Enfant né d’un enfant, Youri est un migrant sans famille et sans papiers. Le vieux psy s’occupe de lui, mais à la fin, il se trouve que c’est en vérité l’enfant qui s’occupe de lui parce qu’il fait des choses extraordinaires.
Car en effet, des événements étranges et extraordinaires surviennent quand Youri est là : les murs tremblent ou s’abaissent, des cœurs radicalisés retrouvent le chemin de la compassion et de la vraie foi, des personnes sont sauvées contre toute attente. Il des pouvoirs merveilleux.
Entre ces deux personnes, Elie et Youri, va se nouer une relation toute particulière. Car Youri n’est pas un enfant ordinaire, il semble incarner un nouveau dieu. Et Elie est différent de ses collègues, il est curieux. C’est le point de départ de cette histoire, l’aventure de Youri racontée par Elie.
Pour ma part, j’estime que l’auteur a utilisé plusieurs moyens pour appuyer son opinion. Le titre, L’Évangile selon Youri, qui marque l’arrivée de bonnes nouvelles, a un certain effet sur le lecteur. En outre, l’auteur a mentionné que l’enfant va s’installer en France Boulevard Arago. Pourquoi ? Parce que c’est sans doute un endroit qui possède une dimension mythique. Ainsi, il va utiliser les forces des anciens temps pour engendrer les croyances du temps présent.
Le conteur, tout en nous relatant cette histoire, nous interpelle. À certaines périodes, des dieux sont apparus. Aujourd’hui, si un dieu devait revenir, sous quelle forme nous arriverait-il ? Comment serait-il accueilli ? Et nous, qu’est-ce que nous aurions à lui confier ? Qu’attendrions-nous de lui ? Tant et tant de questions passionnantes dans ce roman fascinant où se mêlent divinités, magiciennes, croyances et psychiatrie.
Amira IHAB
Département de Français
    Université d’Ain Shams 

Paul GREVEILLAC
Maîtres et Esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
L’art contagieux
Suivant Les Âmes Rouges, une œuvre historique située dans la période de l’Union soviétique, Paul Greveillac publie cet été son second roman intitulé : Maîtres et Esclaves. Il est à noter que celui-ci est inspiré par les études en Lettres et Sciences politiques.  En effet, P. Greveillac part d’un cadre historique renvoyant à la période révolutionnaire de la Chine en 1950 : c’est la nouvelle république populaire implantée par le dirigeant communiste Mao Zedong. Dans ce roman, l’action s’incarne dans le protagoniste Tian Kewei, fils d’un paysan droitier, qui nait en 1950 dans un village rural Sichuan, au pied de l’Himalaya.  En fait, nous suivrons chronologiquement le parcours mouvementé de ce paysan, en partant de son enfance, jusqu’à son admission aux Beaux-arts de Pékin afin de devenir peintre de propagande.
Dès son enfance, Kewei éprouve un amour véhément et héréditaire envers la peinture.  Encouragé par son père, l’enfant dessine du matin au soir et refuse de se résigner et de céder à la réprobation de sa mère qui rêvait de faire de lui un bon agriculteur. Sous l’ambiance révolutionnaire et la tyrannie des gardes rouges, le père, rétif à la politique maoïste, sera assassiné. C’est ici que Kewei suivra les pas artistiques de son père mais déviera du point de vue politique. Repéré par l’un des gardes rouges, Kewei est envoyé à Pékin à l’École des Beaux-arts pour poursuivre ses études en peinture. En conséquence, le protagoniste deviendra le peintre de la Révolution Culturelle en illustrant les slogans et les portraits de Mao Zedong. Son ascension est illimitée. P. Greveillac souligne encore une fois l’idée de transmission en évoquant la passion du fils de Kewei pour la peinture. Mais celui-ci décide de faire un détour et commence à dessiner des sujets contestataires. Suite à cet épanouissement, Kewei se voit confronté à un destin tragique avec la mort de son fils lors des évènements de 1989.  Il ne sera plus qu’un simple peintre dans une usine chinoise.
En effet, le style de l’auteur dévoile différentes aspirations camouflées dans ce roman. Primordialement, l’auteur considère son œuvre comme une porte ouverte sur la culture chinoise, souhaitant instruire le lecteur sur l’histoire de cet empire céleste et prospère. À travers des descriptions minutieuses, nous arrivons à anticiper tous les évènements historiques ainsi que les coutumes de la société chinoise. En outre, l’intrigue principale du roman se focalise sur l’importance de l’art dans la Révolution. Ici, la peinture représente la situation concrète où l’art divulgue les idées révolutionnaires. On note à cet égard que le public-cible d’une révolution, ce sont ceux qui appartiennent aux classes pauvres et très peu alphabétisées.  Dans de telles conditions, l’art apparaît comme un moyen qui peut être accessible à tous.
Enfin, le titre Maitres et Esclaves ne renseigne pas sur le sens propre des mots. Nous pouvons être un jour esclaves, tel Kewei, qui fut un paysan misérable, et puis voir la situation se renverser et devenir alors maitres. Kewei représente précisément cet être désirant réaliser ses rêves à tout prix. Ce livre est ainsi propice à ceux qui désirent s’embarquer dans un voyage culturel, historique et inspirant.

Manal HASSAN
Département de Lettres et de Littératures françaises
Université d’Alexandrie

Paul GREVEILLAC
Maîtres et Esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
Son karma l’emporte
L’homme qui retourne vers son passé à la recherche de réponses à ses questions, est un homme qui roule à tombeau ouvert. Qu’en est-il alors de Paul Greveillac, auteur français d’origine chinoise, qui essaye de trouver les causes mystérieuses qui ont poussé son grand-père à quitter la Chine il y a bien longtemps ? Né en 1981, P. Greveillac est romancier et nouvelliste, père de quatre œuvres dont Maitres et Esclaves, sa plus récente production. Selon lui, le titre de cette dernière n’est pas à prendre littéralement. On comprendra effectivement au cours de son œuvre, que le maître peut devenir du jour au lendemain esclave et vice-versa.
Paul Greveillac relate dans son livre ce qu’a enduré la Chine de 1952 jusqu’en 1989, notamment dans le domaine de la peinture.  Il énonce l’Histoire de la peinture transmise sur trois générations au sein d’une même famille paysanne, les Tian. Le père, Yongmin, analphabète, était un peintre classique. Il fuyait ses responsabilités de père de famille pour aller en pleine nature à la recherche d’inspiration. Pour Yongmin, la condition médiocre dans laquelle baignait sa famille était due à son ignorance. Il pensait d’ailleurs que l’éducation est importante, qu’il faut apprendre à lire et à écrire, pour mieux savoir peindre et atteindre la « triple perfection » : « alliage de la peinture, de la calligraphie et de la poésie ». Il mourut de faim, à cause de son entêtement contre le Parti. Et en vérité, il mourut Esclave, enterré sans cercueil par sa femme qui creusa toute la nuit pour qu’on ne trouve pas le cadavre de son mari.
Kewei, son fils, est le personnage principal de l’œuvre. À l’encontre de son père, Kewei s’intéresse dans la peinture à toute la modernité qui vint bouleverser la Chine. Mais son destin l’emporte, et il devient, malgré lui, peintre du Parti communiste, au service de la propagande.  
Ces deux personnages vécurent une misère atroce sous le règne de Mao Zedong. Ils survécurent à la famine, à la honte, au manque, à l’inégalité (surtout sous le règne du communisme), aux quatre vieilleries, aux soldats rouges, à la Révolution culturelle etc. Cependant Kewei sut assurer son ascension sociale à l’aide de son éducation et il devint le Peintre officiel du parti, un grand Maitre. Xiazhi, le fils de Kewei, s’engagera quant à lui dans la peinture qui allait à l’encontre du Parti communiste, une peinture d’inspiration révolutionnaire. Il utilisa, de son côté, son pinceau comme une arme contre son propre père, envers lequel il éprouvait une haine tenace.
Assurément, Paul Greveillac a mêlé, dans un style loin d’être poétique, l’histoire chinoise à la Littérature et à l’art. Cependant on subodore que derrière le caractère de ces personnages fictifs, est dissimulée une réalité qui appartient non seulement à leur monde fictionnel mais aussi à notre monde réel. On remarque, par exemple, que Yongmin n’accepte pas de se laisse prendre dans un courant ou une tendance moderne, là où les traditions chinoises sont abolies. Au contraire, il s’accroche davantage à sa peinture classique et en meurt martyr.Xi Yan, la femme de Yongmin et la mère de Kewei, dut pour de longues années, vendre son corps pour apporter de quoi manger à son enfant, et aux deux autres enfants orphelins qu’elle avait recueilli chez elle malgré les conditions dramatiques dans lesquelles sombrait la Chine. La femme de Kewei, Li Fang, paysanne depuis sa naissance, était incapable de s’intégrer à la vie urbaine. Elle se suicida quelques années après son exode rural, après avoir vu s’épuiser le mode de vie routinier que maintenaient les « hommes-machines » à Pekin. Kewei, quant à lui, paysan né, se convertit dès qu’il eut la chance de le faire et se fit Maitre de peinture. C’est comme s’il y avait une loi qui le dictait : chaque homme qui détient un pouvoir se voit contraint à se dénuer de toutes ses anciennes valeurs, croyances et morales. Alors Kewei se lança dans la toile que tissait cette nouvelle société, et fut esclave de l’adultère. Il dut voir toute sa famille mourir devant lui. Cependant, il ne tarda pas à devenir lui-même esclavagiste de premier ordre en oubliant son père, son premier maitre, qui fut enterré esclave. Le Maitre Kewei était ainsi Maitre et esclave à la fois, et c’est ce que Paul Greveillac tente de montrer dans son titre. Le mot « esclave » ne se définit pas uniquement par sa relation au mot « maitre » ; on peut être esclave de la peur, de l’argent, de notre passé, de nos faiblesses etc. Tous les modèles sociaux qui figurent dans Maitres et Esclaves résument au fond la situation de l’homme du 20e siècle, une situation qui se prolonge jusqu’à nos jours, ce qui fait des personnages de P. Greveillac des personnages universels, atemporels.
Paul Greveillac rapporte à son lecteur l’Histoire de la Chine mêlée à l’ambigüité du caractère humain. Dans un style élégant, dynamique et riche, l’auteur dessine la trame d’un récit favorisé par des représentations poétiques et esthétiques.
En somme, Paul Greveillac a pu, lui aussi, peindre sur un canevas historique une histoire qui se répète sous d’autre formes au fil des époques. En transportant ses lecteurs dans le monde de Kewei, P. Greveillac les livre à leur propre imagination pour décider du sort de Kewei.

Rita EL HACHEM
Département de Langues et Littérature françaises
Université Libanaise, section II
Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
Tueuse sans victimes
Daniel Picouly est un écrivain, scénariste de bande dessinée et animateur de télévision. Il est né en 1948 à Villemomble d'un père originaire de la Martinique. Il est titulaire du Grand Prix des lectrices de Elle, du Prix Renaudot, du Prix des Romancières et du Prix Amerigo-Vespucci.
L'auteur nous raconte l'histoire d'un terrible événement, le pire désastre volcanique du XXe siècle, d'une manière inhabituelle, en incarnant la montagne volcanique qui nous donne ses justifications comme seul témoin de Saint-Pierre de la Martinique à l'époque. En réalité, c’est elle qui est le héros du livre. C’est elle qui raconte, elle le narrateur. Elle va choisir quelques habitants et les suivre pas à pas. Car elle sait que dans trois heures, elle aura tué 30 000 personnes et enseveli Saint-Pierre, le tout en Quatre-vingt-dix-secondes :
''J’aime me faire peur. Heureusement, l’orgueil des hommes est là pour me rassurer. Si la ville de Saint-Pierre avait été construite plus modestement à l’endroit du Carbet, je n’aurais aucune chance de la détruire'' M. Pelée (p. 164)
Elle commence par le duel, au pistolet, entre deux hommes, à 5h du matin. À cette époque, les duels sont fréquents au jardin Botanique de Saint-Pierre et jamais pour rire.
 L'auteur a utilisé des figures de style qui produisent un livre éloquent qui fait partie des quinze titres sélectionnés pour le Goncourt, comme la métaphore, l'anaphore, la répétition et sans doute la personnification qui a sous-tendu l’ensemble de l'histoire. À la lecture de ce roman, le lecteur est subjugué par la plume de Daniel Picouly. Ce n’est pas l’histoire en elle-même qui passionne, c’est le style de l’auteur. Il prend son temps, fait des descriptions d’une précision et d’une poésie rares, tout y est indispensable !
Le roman met en lumière plusieurs questions importantes : l'ignorance, l'exploitation, les intérêts politiques qui nuisent aux peuples, le racisme et la discrimination raciale à l'égard des Noirs. Mais l'histoire d'amour et la romance d'Othello et Louise représente également une partie importante du roman qui lui a donné en même temps un aspect émotionnel et romantique. Cette œuvre convient à différents goûts de lecteurs. Elle est historique en première instance, mais également tragique, romantique et culturelle.
Les personnages qui jouent un rôle important dans l'histoire, selon D. Picouly, sont les amants Louise et Othello, le gouverneur Louis Mouttet, le tuteur de Louise Armand Vintelle et le tueur à gages Georgien d'Outreville.
Voilà donc une œuvre littéraire qui vaut le coup d'être lue, très intéressante et instructive dans certains domaines, composée en un style nouveau et original. On soulignera cependant des inconvénients, comme l'interruption continue des événements, qui fait perdre le fil de ses pensées au lecteur et aussi parfois le fait que nous nous trouvons confrontés à une ambiguïté dans les conversations, ce qui pose quelques difficultés à la compréhension.
Shahad ESHTAIWI
Département de Français
Université Princesse Noura bint Abdulrahman

Maîtres et Esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
Maîtres et Esclaves
Paul GREVEILLAC est un romancier et nouvelliste français né en 1981, qui a étudié les Lettres et les Sciences politiques. Ses romans Les âmes rouges et Maîtres et Esclaves sont de grands succès inscrits sur la liste de lecture de l'Académie Goncourt en 2016 et 2018.
Maitres et Esclaves est un roman qui raconte l’histoire de trois générations différentes présentées à travers une famille de paysans en Chine pendant la guerre civile chinoise. La succession est au cœur de l’histoire. Le don artistique est un héritage qui unit et divise à la fois.
L'histoire commence en Chine, dans la province de Sichuan en 1950, quand Kewei naît. C’est un roman qui débute in media res ; le lecteur se trouvant directement projeté au cœur des événements. Le premier de ces événements est la naissance de Kewei qui annonce déjà les difficultés auxquelles ce personnage sera confronté plus tard.
Kewei est passionné par la peinture tout comme son père et son grand-père et pour réaliser son rêve, il lui a fallu faire des concessions, comme quitter sa mère, son épouse et son fils. Son pays est déchiré par la guerre : le Parti communiste chinois a terrorisé son village et tout le monde a obéi au petit Livre rouge de propagande communiste. Kewei nous prend ainsi dans un voyage à travers la Chine en explorant la pensée Mao Zedong et la Révolution culturelle.
Quant au titre du roman, je pense qu'il est pertinent, et renvoie à cette interrogation : "sommes-nous maîtres de nos destins, esclaves de nos egos ? Maîtres de nos rêves, esclaves de ce qui les concrétise ?".
Dans son œuvre, Paul Greveillac a déployé un style éloquent et des termes détaillés qui ont suscité l’intérêt des lecteurs. Je l’ai trouvé personnellement intéressant et je voudrais davantage lire ses écrits.

Yara AL-REHILI
Département de Français
Université Princesse Noura bint Abdulrahman

     Daniel Picouly
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
L’ironie d’une chronique
Chaque îlot signalé par l'homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L'Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.
[...]
Faut-il partir ? rester ? Si tu peux [partir, pars] ;
(Charles Baudelaire
La scène inaugurale du roman évoque le duel à Saint-Pierre. C’est une pratique qui n’impressionne que peu la montagne Pelée car elle finit souvent par une mort banale et attendue. Mais l’arme donne parfois un avantage au lâche plutôt qu’au courageux. Saint-Pierre est la capitale de la Martinique, une île qui se trouve à proximité du Nouveau-monde. C’est la ville où se dresse la narratrice et l’héroïne invincible (la montagne Pelée), personnifiée dans le moindre détail. Capable de tout voir, les grandes choses aussi bien que les petites, elle prend la parole comme une divinité. Pour elle, les petites choses sont importantes parce qu’on y trouve parfois la vérité.
Les habitants de Saint-Pierre, souffrants d’une ignorance profonde, maltraitent la majestueuse montagne Pelée. Victimes de leur ignorance, ils ne prennent pas les alarmes de la montagne au sérieux, pensant qu’il s’agit d’un poisson d’avril ! La montagne Pelée a l’air débonnaire, mais c’est en fait un monstre assoupi qui va se réveiller brusquement pour pulvériser ses alentours. La montagne reste en effet silencieuse pendant plusieurs décennies mais les gens ne savent pas que le silence peut être l’expression de la colère la plus foudroyante. Maltraitée par les habitants de la ville, la meurtrière des 30.000 habitants de Saint-Pierre est à la fois victime et criminelle.
Les habitants de Saint-Pierre, capitale des péchés (esclavage, ignorance, violence, racisme…), sont eux-mêmes esclaves de la nécessité, d’où l’importance du port qui est la seule brèche ouverte sur le monde. La ville est possédée par plusieurs familles qui pensent que Dieu les a élues afin d’accomplir sa volonté sur terre. Mais ces familles ignorent surtout le fait que l’Être Suprême a choisi la montagne Pelée pour cette mission.
L’éruption du volcan fait donc 30,000 morts. C’est une extermination qui ravage des familles, des amoureux, des animaux et des plantes. Accusées par la montagne, toutes ces créatures doivent payer le prix fort. Mais ce qui est ironique, voire absurde, c’est la survivance exceptionnelle de Cyparis, un criminel resté renfermé dans sa cellule. Personne ne pense que son incarcération va paradoxalement lui rendre sa liberté, sinon une nouvelle vie. Comble de l’ironie, c’est la seule personne qui a survécu au jugement final.
Daniel Picouly renoue dans ce roman avec une tradition qui trouve ses racines dans l’aube de l’histoire. Il s’agit du recours à la mythologie, source inépuisable qui nourrit la pensée occidentale. Je pense que le romancier a souhaité rappeler au lecteur son impuissance devant les forces dévastatrices de la nature. Malgré toutes ses tentatives, collectives ou individuelles, l’homme, qu’il soit pieux ou libertin, reste mystérieusement victime de la colère de la nature. Celle-ci se trouve incarnée dans le roman par le personnage de la montagne Pelée qui se manifeste comme la plus méchante divinité qui soit. Avec la catastrophe, une page se tourne pour la Martinique, marquant la fin d’une époque, le destin de l’île entière demeurant désormais infléchi par la disparition de cette ville devenue mythique.
Ce n’est pas parce que je préfère personnellement ce roman qu’il faut le lire. C’est plutôt parce qu’il nous montre des événements qui font partie de notre histoire humaine. D. Picouly nous rappelle à travers tous les personnages du roman que la contradiction et les conflits sont la matrice de la vie. D’ailleurs, je pense que le romancier insiste avec raison sur la cause principale de la vengeance de la montagne. Il s’agit de l’INJUSTICE qui domine Saint-Pierre même si l’amour et la tendresse y existent.
Saleh SHRAIM
Département de Français
Université Al-Zaytoonah
Nicolas MATHIEU
Leurs enfants après eux
Éd. Actes Sud, 2018 (424 p.)
Un cycle social bouclé
“Les souvenirs étaient forcément géographiques”
Des souvenirs aux parfums denses et poignants imprègnent Leurs enfants après eux, second roman de l’écrivain Nicolas Mathieu, paru aux Éditions Actes Sud en 2018. Étant né et ayant vécu en Lorraine, Nicolas Mathieu nous expose les petits secrets du quotidien dans cette région.
Divisé en quatre chapitres, quatre étés, ce roman met en scène six vies, qui découlent d’un seul et même lieu, Heillange. Dans son Introduction à l’analyse du roman, Yves Reuter affirme que « les lieux signifient des étapes de la vie, l’ascension ou la dégradation sociale […], des racines ou des souvenirs ». Ainsi, ville imaginée par l’auteur, qui, pourtant, est localisée dans l’espace référentiel comme étant l’une des régions de la Lorraine, Heillange est le fil conducteur, la charpente qui maintient l’unité du roman. Elle signifie, tout à la fois, la dégradation sociale des êtres qu’elle abrite et les souvenirs de l’auteur qui y transpose tout son passé de jeune adolescent.
Néanmoins, de par sa signification, nous pouvons déduire qu’Heillange étouffe les rêves et les ambitions de tous les personnages du roman. Que ce soit les adolescents, Anthony, Steph, Hacine, ou leurs parents, tous s’y retrouvent pris dans l’engrenage de leur propre situation sociale. Ainsi, le lecteur contemple un défilé de vies d’adolescents qui cherchent avant tout à fuir, à s’évader de « la petite ville », de « la petite vie », qui refusent de suivre à leur tour les traces de la vie de leurs parents, sans pour autant avoir un but précis, une orientation décidée. Et Anthony, le protagoniste du roman, en est l’exemple le plus représentatif :
« Les siens, il les trouvait finalement bien petits, par leur taille, leur situation, leurs espoirs, leurs malheurs même, répandus et conjoncturels. Chez eux, on était licencié, divorcé, cocu ou cancéreux. On était normal en somme […] Anthony, de plus en plus, s’imaginait supérieur. Il rêvait de foutre le camp. »
De la sorte, le lecteur se trouve face à des « prototypes sociaux » qui se débattent sur une route qui zigzague sans stabilité, et espèrent pourtant fuir, pour réussir. Y parviendront-ils ?
C’est dans un registre familier, et en utilisant un lexique qui reprend le langage de ces « personnages types », tels qu’ils sont définis par Lukács, que Nicolas Mathieu nous expose leur quotidien dans tous ses méandres, comme un fait divers, sans ornements ni rajouts.
Avec Nicolas Mathieu, nous visitons une ville oubliée de la France et nous côtoyons des gens marginalisés, à la merci des conditions de naissance. Ce voyage est comme un message de paix, une dénonciation d’un « cycle social » affreux auquel peu de gens parviennent à échapper.

Juliana SASSINE
Département de Langue et Littérature françaises

Université Libanaise, section II

  Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
Réflexion d’une montagne en colère
La montagne Pelée, volcan actif situé au nord de la Martinique, nous raconte l'histoire de Saint-Pierre, une cité pécheresse qui mérite une punition exemplaire. La Martinique, cette colonie française où se déroule l'histoire est une des plus belles au monde. Elle est en effet pourvue de paysages magnifiques et sa nature est sans pareille. La montagne Pelée nous la décrit comme un véritable paradis. Pourtant, l’auteur représente les habitants de la ville comme des ingrats qui prennent la beauté de la nature comme quelque chose d'acquis, ne respectent pas ses lois et ne voient que son côté paisible. Au cours du roman, la montagne Pelée essaie de justifier son éruption en expliquant pourquoi il lui fallait détruire la cité de Saint-Pierre : « je l'avoue, je hais Saint-Pierre, je n'aime pas ses habitants, je préfère les bêtes. » Il nous raconte à quel point ces habitants sont haïssables, comment ils ne s’aiment pas entre eux et comment la ségrégation raciale subsiste encore entre Blancs et Noirs malgré des années de cohabitation. La montagne commence ainsi à raconter l'histoire quelques heures avant son éruption. De là-haut, comme un dieu qui voit tout, elle nous décrit la scène. Des gens qui se battent, d'autres qui s'aiment, d’autres encore qui s'occupent de leur vie mondaine sans trop se soucier de ce qui va leur arriver. Personne ne voit la montagne Pelée, personne n'a peur de son éruption. C'est peut-être cela qui la dérange le plus, l'ignorance des gens. En dépit de toute alarme, les gens ne voient pas arriver le danger. Leur arrogance les conduit à penser que la montagne Pelée restera toujours éteinte, comme elle l’a toujours été. Mais la montagne Pelée va leur prouver le contraire.
Dans ce roman, ce que m'a impressionné le plus est le choix littéraire de l'auteur de faire parler la montagne. Pour moi, cela ajoute une certaine crédibilité à l'histoire. On entend toujours les gens parler, mais quand quelque chose d'inanimé prend la parole et nous révèle la vérité sur les êtres humains, on a tendance à adhérer à ses propos parce qu’elle nous offre une autre perspective à travers laquelle on n'a pas l'habitude de voir les choses. D. Picouly exploite aussi le style sarcastique pour décrire les faits de l'histoire. Même pendant les dernières secondes où tout le monde meurt, la montagne se moque toujours des personnages et déplore leur stupidité. Pourtant, ce n'est pas le genre d'humeur qui nous rend insensible à ce qui se passe dans l'histoire, mais plutôt le genre qui nous pousse à vouloir connaître la vérité et à mieux la supporter. Finalement, je trouve ce roman fort intéressant et enrichissant et sa lecture, une bonne expérience.
Aïcha HACHIM
Département de Français
                                                                                                                        Université de Khartoum 
                                 

Paul GREVEILLAC

Maîtres et Esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
Chronique d’un destin et d’un pays
Le roman raconte l'histoire de Tian Kewei, fils de paysan de classe moyenne, qui change son destin de ses propres mains. De petit gamin dont la famine a tué les parents, il devient un étudiant des Beaux-arts à Pékin, réalisant ainsi son rêve de vivre une vie loin de celle qu'il a vécu. Pourtant, cette vie emprunte bien des détours et, grimpant l'escalier du bonheur, peu à peu, le héros perd une partie de vie jusqu'à se retrouver tout seul à la fin.
Le livre aborde les changements qui ont affecté la Chine en évoquant le patriotisme du peuple chinois et la manière dont l'art et la politique interagissent pour marquer l'histoire de la République Populaire.
Paul Greveillac adopte un style fin qui lui permet de rendre compte de la densité des événements avec des personnages très différents les uns des autres. Il en résulte une mixité intéressante.
Personnellement, certains passages descriptifs m'ont fasciné. Je me suis sentie face à ce que l'auteur décrit, l’observant de mes propres yeux. En suivant l'histoire de Tian Kewei, après avoir lu le résumé sur la couverture, j’ai été impatiente de savoir comment l'histoire du peintre allait évoluer. Je suis entrée en empathie avec chaque moment de sa vie, notamment avec cette fin tragique des membres de sa famille, qui m'a fait verser des larmes.
Quant à l'autre versant du livre, qui concerne la Chine et la révolution, j’ai été frappée par la densité d'information. Je n'ai pas pu totalement être capable de décider si j’aimais ou non cette partie que j'ai trouvée un peu difficile à gérer. Néanmoins, j'attribue cette difficulté au fait que le livre est adressé à ceux qui ont déjà une idée générale sur la Chine.
Arwa MUBARAK
Département de Français
Université de Khartoum


Paul GREVEILLAC
Maîtres et Esclaves
Éd. Gallimard, 2018 (464 p.)
 « On est tous esclaves de quelqu'un ou de quelque chose »
L'histoire se déroule dans la Chine des années 1950, au moment de la construction de la République Populaire. Les Communistes ont enfin le pouvoir et leur travail de propagande peut commencer : façonner les gens pour les rendre esclaves de l'idéologie communiste, confisquer les propriétés sans se soucier de la pauvreté extrême, utiliser l'art et la littérature pour "attaquer et détruire l'ennemi".
Le protagoniste s'appelle Kewei, un garçon doué pour le dessin. Fils d'un paysan moyennement riche, il doit peindre pour servir la grande cause. Ce sera un long et douloureux voyage pour Kewei, mais également pour d'autres personnages dont le lecteur fera la connaissance au fur à mesure de l'histoire.
Bravo à l'auteur... Paul Greveillac nous immerge dans un univers terrifiant qui donne matière à réfléchir et nous offre, de surcroît, un excellent moment de littérature. Le style, les multiples informations, les personnages bien campés et attachants, la poésie lorsqu'il est question de la beauté, de la peinture, de la nature ou de l'enfance... On peut également saluer la connaissance très approfondie de l'auteur pour son sujet (en plus, Paul Greveillac est d'origine chinoise). Maîtres et esclaves est un roman poignant et très documenté qui mêle avec habilité la fiction et la réalité historique.
La seule critique que je peux formuler à cette œuvre est peut-être le fait que si le lecteur ne s'intéresse pas au sujet (La chine, son Histoire, culture, etc.), il risque de ne pas vraiment apprécier le roman.
Enfin, le titre Maîtres et esclaves n'est pas à prendre dans un sens dualiste, comme si d'un côté il y avait les maîtres ou les possédants et de l'autre les esclaves ou les paysans. En effet, l'idée à retenir est qu'on peut être maîtres de nos destins ou de nos rêves un jour, et esclaves de nos egos ou de notre peur un autre. Peu importe la position dans laquelle on se trouve.
« Sommes-nous maîtres de nos destins, esclaves de nos egos ? Maîtres de nos rêves, esclaves de ce qui les concrétise ? »  (p. 299)
Musab MASRI
Département de Français
Université de Khartoum

Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
Quand la nature se met en colère
Dans Quatre-vingt-dix secondes, Daniel Picouly aborde un sujet historique : la catastrophe de 1902 qui a causé la destruction de la ville de Saint-Pierre en Martinique du fait de l'éruption volcanique de la montagne Pelée. Il essaie de nous mettre en scène l'histoire de quelques personnages, habitants de la Martinique, tels que le gouverneur Louis Mouttet, les deux amants Othello et Louise, Julie, la mère d'Othello, le tuteur de Louise Vintelle et Outreville, le professeur Landes ainsi que d'autres personnages jouant des rôles plus ou moins importants. Il nous raconte en détail le jour où la montagne Pelée explose, entraînant la mort de 30.000 personnes en quatre-vingt-dix secondes.
L'écrivain situe le roman dans un cadre historique où les protagonistes sont les habitants de la ville de Saint-Pierre en Martinique et où la montagne Pelée joue le rôle de narratrice, en une scénographie très peu commune dans la littérature mais néanmoins éloquente et séduisante.
Les habitants têtus de Saint-Pierre demeurent étrangement sourds et sans réaction malgré les avertissements du danger que la montagne Pelée ne cesse de leur envoyer.  La montagne, regrettant de n'avoir que 90 secondes à disposition pour pouvoir donner un petit coup de main aux gens de la Martinique afin qu’ils puissent se sauver, devient rouge de colère en découvrant le snobisme médiocre des habitants. Elle laisse alors arriver le désastre déplorable et dévastateur. En plus, la nature martiniquaise qui s'incarne en la montagne Pelée est, au plus haut point, en colère contre la corruption politique que les dirigeants exercent dans le pays.
Le roman, dès le début, témoigne d’une richesse impressionnante de détails et de descriptions. La personnification répétitive de la montagne Pelée donne l'impression qu'elle se cache derrière un pseudo d'être humain. À force d'avoir lu des romans durant mon parcours d'étudiant, je suis parvenu sans difficulté à comparer le style d'écriture de Daniel Picouly à celui d'Émile Zola. Je trouve que les deux écrivains affectionnent la description, que ce soit celle d’un objet ou d’un être. En somme, ce genre de style d'écriture n'est pas du tout facile à retenir. En conclusion, le fait que l'histoire soit caractérisée par un trop-plein de détails ne gâche en aucun cas le plaisir scientifique et littéraire qu'elle peut procurer au lecteur.
Mohamed Yagoub HANAFI
Département de Français
Université de Khartoum

Nicolas MATHIEU
Leurs enfants après eux
Éd. Actes Sud, 2018 (432 p.)
Une jeunesse désespérée
"Les hommes parlaient peu et mouraient tôt. Les femmes se faisaient des couleurs et regardaient la vie avec un optimisme qui allait en s'atténuant. Une fois vieilles, elles conservaient le souvenir de leurs hommes crevés au boulot, au bistrot, silicosés, de fils tués sur la route, sans compter ceux qui s'étaient fait la malle".
L'histoire se déroule en France, précisément dans les années 1990, à proximité des hauts fourneaux alsaciens dans une région industrielle tombée en désuétude. Heillange (Heyllange en réalité) est une petite ville de l'Est de la France, sclérosée par la mort de l'industrie dans la région, symbolisée par l'immense usine à feu mise à l'arrêt, spectre quotidien d'un passé révolu pour une population besogneuse.
À l’été 1992, à Heillange se trouve une vallée perdue, Anthony Casati a 14 ans. C’est l'âge où l’on aspire à une pleine liberté durant les vacances. Il a décidé avec son cousin Hacine, âgé de 17 ans, fils d'un honnête ouvrier marocain et impliqué dans un trafic de drogues, d'aller découvrir cette vallée. Ayant volé la moto de son père, Anthony va  avec son cousin vers cette vallée. C’est là qu’ils voient deux filles nues, Steph et clèm, avec lesquelles ils décident de lier connaissance… Anthony est fasciné par Steph. Les quatre ados décident alors de rester ensemble et de vivre leur vie, en recourant à la drogue et à l’alcool et en vivant librement leur sexualité.
À l’été 1994, Anthony trouve du travail au club nautique local. Avec l'étudiante Vanessa, il a un rapport sexuel sans toutefois pouvoir éprouver de sentiments. Il vit entre sa mère et son père, désormais séparés.
Puis c’est l’été 1996, l’année du Bac pour Anthony, qui a désormais dix-huit ans. Il s’est rapproché de la belle Steph, mais de façon quasiment platonique.
En 1998, à la faveur de la Coupe du monde de football, Anthony a la chance de s’éloigner enfin de ce marigot dans lequel il se sent englué.
L'adolescence d'Anthony rejoint en fait celle de l'auteur, qui chercha lui aussi à fuir de ce monde qui lui était devenu trop étroit. Il retrace les émois sentimentaux, les bêtises et la part d'égoïsme de cet âge.
Leurs enfants après eux est un roman d'apprentissage, un roman social, dans lequel les anciens ouvriers qui ont travaillé dur toute leur vie se retrouvent cassés et face au néant de journées sans but. C’est aussi le roman d'une époque, celle de la France des années 1990, la France de la mise à la mort des industries du Nord et de l'Est – en somme, la France du chômage.
C’est un roman très riche qui m’a passionnée. Il ne manque pas de suspense et le lecteur a l’impression par moments de participer au déroulement de ses péripéties.
Batoul Mhmd
Département de lettres françaises
Université Saint-Joseph

Thomas B. REVERDY
L’Hiver du mécontentement
Éd. Flammarion, 2018 (220 p.)
La ville de Londres pendant l’hiver 1978-1979
« On dirait qu’elle vole, Candice, dans les rues de Londres » (p. 9).
Thomas Reverdy ne déroge pas à la règle et évoque, comme à son habitude, les pertes, les destructions et les calamités, mais cette fois-ci, ce ne s’agit pas de Détroit comme c'était le cas dans Il était une ville, mais de Londres.
L'écrivain, ici, fait de nouveau appel à une héroïne nommée Candice, tout comme celle qu’il mettait en scène dans son livre L’Envers du monde qui se déroulait à New York deux ans après les attentats du 11 Septembre 2001. La protagoniste de L’hiver du mécontentement a 20 ans. Elle livre des colis à vélo pour pouvoir se payer ses cours d’art dramatique. Le lecteur suit l’héroïne dans son parcours tout en visitant Londres et en observant la conjoncture délicate que traverse la ville en 1978-1979. L'œuvre correspond en effet à cette période de 1978-79, moment charnière où l’Angleterre de l’Empire et de l’après-guerre va basculer dans une crise brutale.
Avec les grèves de cet hiver-là, Candice croule sous le travail. Mais ce qui compte dans la journée de Candice, ce sont les cours d’art dramatique et la pièce Richard III qu’elle monte avec un groupe de filles, "Les Shakespearettes". Cette pièce est, en fait, un classique très célèbre de Shakespeare, une tragédie sur le pouvoir et la manipulation qui s’ouvre sur la phrase suivante : « Voici venir l’hiver du mécontentement ».
Selon la dynamique de l’amorce de Thomas Reverdy, « Elle attend que quelque chose se passe ». Candice en effet représente la jeunesse britannique de la fin des années 1970, cette jeunesse qui écoute les Sex Pistols et Pink Floyd. Une génération qui a été obligée d’adopter le slogan : ‘’No future’’ à force d’être acculée à anéantir tout espoir et d'étouffer dans l’œuf tout mouvement de résistance. Et pourtant et malgré tout, c'est également une génération décidée à attendre un avenir diffèrent.
Dans ce magnifique roman, doté de chapitres courts bien chaloupés, l’auteur déploie un sens de l’actualité aigu dans ses approches thématiques. Il narre le passé pour mieux comprendre le présent, surtout lorsqu’il aborde les enjeux politiques, l'idée de la liberté et la question du pouvoir avec l’ascension de la Dame de fer.
Voilà un ouvrage sous-tendu par un élan romanesque et musical à lire d’une seule traite en même temps qu’on écoute la playlist préparée par Thomas B. Reverdy, qui nous plonge entièrement dans les années Punk et rock rythmant cette crise de 1978-79. Bref, c'est un roman à déguster …
Belhadj Djamaldine MOHAMED
Département de langue et de littérature française 
Université d'Alexandrie 


Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
La Pelée gronde
N’ayant pas fait d’études littéraires, Daniel Picouly nous surprend, à 44 ans, avec la parution de son premier roman La lumière des fous. Suite à des études en droit, comptabilité et gestion, l’intérêt du Martiniquais porté à la littérature et à l’écriture se dévoile dans le grand nombre de romans qu’il publie.
Le dernier de la lignée, intitulé Quatre-vingt-dix secondes, parait le 22 août 2018 aux Éditions Albin Michel. L’auteur réécrit, en imprégnant d’émotion ses 265 pages, l’évènement qui marqua l’Histoire de la Martinique en 1902, à savoir l’éruption de la montagne Pelée. Ce roman résume les quelques heures précédant le drame, l’immense cataclysme, et décrit ce monstre qui a pu, en quatre-vingt-dix secondes, ravager tout un village, brûler la terre de Saint-Pierre et décimer 30.000 Martiniquais.
Dans un cadre spatio-temporel spécifique, l’histoire du roman est racontée au début par une voix anonyme et mystérieuse. Qui est ce « je » dans « À cette heure, c’est pour mourir. Je suis rassurée » ou dans « Je l’avoue, je hais Saint-Pierre, je n’aime pas ses habitants, je leur préfère les bêtes » ? Ce n’est qu’à la fin du premier chapitre que le narrateur ôte son masque pour se présenter : « Je suis la montagne Pelée ». Il révèle son désir : « je vais raser la ville de Saint-Pierre », dévoilant sa puissance et sa cruauté : « 30000 morts en 90 secondes ».
Daniel Picouly donne le souffle à cette montagne en lui accordant le pouvoir de raconter, d’émettre des sensations et des impressions. Dans tout le roman, la Pelée relatera non seulement les catastrophes naturelles mais aussi le vécu des habitants de Saint-Pierre. Tout un monde, toute une vie, toute une âme se dressent entre les lignes dans l’optique d’une nouvelle perspective. Sont donc mis en évidence, face aux cris répétés de la Pelée, les sentiments des villageois, la peur et l’épouvante de certains, l’indifférence et la nonchalance d’autres.
Par ailleurs, D. Picouly met en scène plusieurs personnages appartenant à différentes classes sociales. D’une part, les détenteurs du pouvoir et des richesses, Rodolphe Fouché, le maire, Louis Mouttet, le gouverneur, Marius Hurard, le directeur du journal Les Colonies et Eugène Guérin, le propriétaire de la principale usine sucrière. D’autre part, les gens du peuple, Cyparis, marin et cultivateur, les amoureux Othello et Louise, Outreville, tueur professionnel payé par Armand Vintelle et chargé de tuer Othello, Julie la mère d’Othello, Mona la mère de Julie et la Garlaban qui convoite Othello mais cherche également à le protéger.
La montagne Pelée retrace l’histoire de ces personnages, la plus captivante étant sans doute celle des deux amoureux, Othello, un garçon à couleur de peau sombre et Louise, la fille d’un riche Blanc. Un amour interdit dont la pureté se laisse à découvrir au fur et à mesure que les pages s’écoulent. Une histoire d’amour qui ressemble à celle de Roméo et Juliette, de Shakespeare. D’ailleurs « La scène n’est qu’une banale réplique de "l’erreur de Roméo". Roméo se suicide sur le corps de Juliette qu’il croit morte. Elle se réveille, trouve Roméo sans vie et se tue. » . On se demande si Othello pourra échapper à la lame et à la balle de ses ennemis. Arrivera-t-il à surmonter la haine et la rage de la montagne avec sa bien-aimée ?
En outre, dans Quatre-vingt-dix secondes, et dans un style attachant, en phrases tantôt simples, tantôt ampoulées, sont abordés plusieurs thèmes relatifs aux injustices et aux atrocités causées par l’homme à l’encontre de son semblable. Partant du racisme pour aller à l’inégalité sociale, du mariage de rang au mariage forcé, des conflits violents à l’hypocrisie, le roman décrit et met en lumière la faiblesse de l’homme face à l’argent et au pouvoir.
Si, « Convaincu de leur crime, Dieu détruit la ville par le souffre », la Pelée punira à son tour la « Sodome tropicale », la ville de Saint-Pierre. Elle recréera à son tour un déluge, un déluge de feu et de fer qui réveillera tout le monde, ou presque…  

Christelle BERBERIAN
Département de Langue et Littérature Françaises
Université Libanaise, Section II

Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
La montagne en colère
J’entends bien les gens. Je les impressionne, ils me craignent mais ils n’ont rien à dire de moi ’’
Quatre-vingt-dix secondes est un roman de Daniel Picouly, écrivain français, animateur de télévision et scénariste de bande dessinée.
Les actions du roman se déroulent en 1902 à Saint-Pierre, en Martinique. Il s’agit d’une catastrophe qui a ravagé la ville : l’éruption de la montagne ‘‘Pelée’’ qui, en 90 secondes, fera 30.000 morts.
Daniel Picouly dans son roman, donne la parole à la montagne Pelée, ce qui est très intéressant et original sur le plan narratif. À travers un monologue bien construit, la montagne Pelée nous décrit la ville et la beauté de son jardin botanique. En outre, elle agit comme un témoin qui observe l’état des habitants quelques heures avant la catastrophe.
Daniel Picouly met en scène l’histoire de quelques personnages tels que le gouverneur Mouttet et sa femme Hélène, les deux amoureux Othello et Louise, Julie la mère d’Othello et le professeur Lande. À travers ces histoires racontées par la montagne, on découvre les habitudes des habitants de Saint-Pierre : le duel, les guerres, les mensonges, l’inégalité et le racisme. Autant de malheurs qui ont poussé la montagne à prendre sa décision désastreuse.
Tout au long du roman, la montagne exprime son étonnement quant à l’ignorance des habitants face au volcan. Malgré tous les avertissements qu’elle leur a envoyés, telles la montée des cendres et la fuite des animaux, ils ne réagissent pas. Ils ne s’intéressent qu'aux élections législatives qui auront lieu dans la ville et ont oublié que leur sécurité devrait occuper une place primordiale dans leur existence.
Daniel Picouly a réussi à décrire un événement historique d’une manière très originale. Avec son style vif et ses descriptions riches, il a réussi à nous faire entrer en empathie avec les personnages et nous conduire à refuser leur mort. On se plonge donc dans la lecture en espérant qu’ils arriveront à changer leur destin et à fuir cette catastrophe.
C'est un roman intéressant et riche en descriptions qui mérite la lecture.
Mariam ABDEL MESSIH
Département de Langue et de Littérature françaises
Université d’Alexandrie
                                                                                                                                                 
 Daniel PICOULY
Quatre-vingt-dix secondes
Éd. Albin Michel, 2018 (272 p.)
L'appel de la nature
Dans ce roman, l'auteur donne la parole à la montagne Pelée, héroïne d'une épopée terrifiante, qui va causer la mort de près de 30.000 personnes le 8 mai 1902, en seulement quatre-vingt-dix secondes, détruisant au passage la ville de Saint-Pierre.
La montagne Pelée décrit les événements qui se déroulent à Saint-Pierre, la plus belle ville des Caraïbes. Dans le jardin botanique, un duel oppose Othello qui est un saltimbanque noir et Outreville, tueur professionnel payé par M. Vintelle, lequel recommande : « Effacez-moi le sourire de ce nègre. » L’enjeu en est Louise, qui est l’amante d’Othello. Par ailleurs, les élections pour choisir le gouverneur de cette ville se préparent. De son côté, la montagne Pelée a prévenu la cité trois semaines auparavant. Le professeur Landes a lui-même mis en garde la population, anticipant l’explosion de la montagne Pelée, mais personne ne prête attention à ses paroles. Le 8 mai 1902, à 7:52, la montagne Pelée commet la plus destructrice et la plus meurtrière de ses éruptions. Elle a violemment ravagé cette ville où les habitants ne sont occupés que par des sujets superficiels. Elle a ainsi agi comme un monstre qui se venge de citoyens arrogants et ignorants, et de Saint-Pierre qu’elle hait.
D'un côté, le style est long, lourd et un peu ennuyeux. À mi-chemin, j’ai perdu le fil du récit à cause de descriptions excessives et inutiles. D'un autre côté, j’ai apprécié la personnification de la montagne Pelée. Je pense qu'elle est le symbole de la purification car en effet, elle purifie la ville de St-Pierre en produisant une éruption : « Saint-Pierre reste une catin aux deux parfums. Elle sent l'ail et le sucre. L'ail pour éloigner du diable, le sucre pour le faire revenir. » Ainsi la Pelée manifeste la douleur causée par la maltraitance des humains, qui provoquent des duels à mort pour des raisons triviales, organisent des élections vaines. La ville est peuplée de gens qui ignorent les sages et écoutent les hommes stupides, ceux qui les trompent. Par ailleurs, il y a une autre éruption, et celle-là concerne les deux amoureux, Othello et Louise. Dès lors, une question nous obsède l'esprit au fil de la lecture : laquelle des deux éruptions va triompher ? L'amour ou bien la catastrophe naturelle ? Enfin, malheureusement la catastrophe naturelle a gagné, ce qui fait ironiquement dire à la montagne : « Des enfants. Des naïfs extatiques qui se croient protégés par leur innocence et ne se connaissent que des yeux. »
Nidal MOHAMED
Département de Français
                                                                                                                        Université de Khartoum


François VALLEJO

Hôtel Waldheim
Éd. Viviane Hamy, 2018 (298 p.)
Jeff Valdera, un pion pour les espions
Et si on vous envoyait une carte postale anonyme ? Est-ce que cela suscitera votre curiosité ou votre inquiétude ? Jeff Valdera, le narrateur du roman, en a reçu trois. Sur ces cartes postales figurent des photos représentant des sites en Suisse. La plus intrigante est celle où apparaissent des photos de l’hôtel Walheim, hôtel où le narrateur a séjourné en 1976 avec sa tante. Ce quadragénaire avait à l’époque seize ans. Plus troublants encore sont les messages écrits au dos de ces cartes : « Ça vous rappel queqchose ? » (sic). Jeff se pose des questions : Que lui veut-on ? Qui est l’expéditeur de ces cartes ?
Quelques jours plus tard, sa curiosité est contentée. Mais ce sentiment disparaît pour laisser place à la surprise. Jeff rencontre la personne qui utilise une méthode archaïque, démodée, en guise de moyen de communication. C’est une femme, Frieda Steigl. Elle lui affirme que son père était, tout comme lui et sa tante, résident à l’hôtel Waldheim durant l’été 1976. En sa qualité de dernière personne à avoir vu son père avant sa disparition, Jeff Valdera devrait être en mesure de lui fournir des informations sur lui. Or, Jeff n’était qu’un adolescent à l’époque. C’est à peine s’il se souvient de Friedrich Steigl, l’homme avec qui il jouait au jeu de go.
Le narrateur est harcelé par les questions de Frieda qui détient des rapports de la Stasi rédigés au sujet de son père, rapports qui mentionnent aussi le nom de Valdera. Grâce au travail de la mémoire, des bribes de souvenirs remontent, au fur et à mesure, à la surface. Valdera opère un retour en arrière et nous emmène avec lui visiter la Suisse, ses beaux paysages et sites, comme il l’avait fait en 1976 : l’hôtel Waldheim, le cimetière, le sanatorium de Berghof, la Vallée de Sertig, etc.
À sa grande surprise, Jeff est présenté dans les rapports comme un informateur. À son insu, il a aidé deux agents secrets de la Stasi et mis en danger voire démantelé un réseau dont faisaient partie Steigl et l’hôtelier, Herr Meili, lequel réseau permettait à des savants est-allemands de s’enfuir vers l’Allemagne de l’Ouest ou la Suisse. Jeff découvre alors qu’on exploitait sa naïveté, faisant de lui « un pion » manipulé tantôt par les agents de la Stasi tantôt par les hommes du réseau. Cette idée apparaît en filigrane dès la première de couverture représentant un jeu d’échecs et grâce au dessin du pion annonçant le début de chaque chapitre. Sur la couverture, il y a plusieurs images identiques du jeu d’échecs qui s’emboîtent. Cette structure en gigogne annonce le voyage intérieur effectué par le narrateur au fond de lui-même. C’est aussi un voyage dans le sens horizontal, un voyage dans le temps, dans la mesure où le narrateur découvre l’adolescent qu’il était. Il analyse également cet épisode de sa vie sur lequel il jette un regard critique acquis à la faveur de sa maturité, avec un recul qui lui permet de mieux juger le passé. Curieusement, il commence à admirer cet adolescent qu’il trouvait jadis « antipathique ».
Outre cette quête psychologique, l’auteur nous promène dans un livre d’histoire où chaque page est une touche dans une fresque illustrant la guerre froide, les rapports entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest, la Stasi, bref, l’époque qui a précédé la chute du mur de Berlin.
Le style exceptionnel de Vallejo ajoute au plaisir de la lecture. C’est un style simple. Le roman est incrusté de descriptions détaillées et poétiques, enrichi d’allusions à des œuvres d’écrivains français et allemands, agrémenté de suspens et rehaussé d’une pincée d’humour.
L’intrigue, l’analyse, le style, tout dans ce roman – même la structure – incite le lecteur à le dévorer. Ses chapitres courts, qui facilitent la lecture, ne vous décevront pas.

Hania AHMED et Lina AHMED
Département de Langue et de Littérature françaises
Université d'Alexandrie

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire